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Cheminer entre beauté et blessure pour une vie épanouie

Pour l’écothéologien français Martin Kopp, invité à Lausanne le 12 juin, la théologie de la création peut répondre à la crise de nos sociétés. Parce qu’elle porte la promesse d’un sens renouvelé et de vie humaines libérées et qu’elle invite chacun à faire ce qui est juste, loin du «complexe de Superman». Dans la douceur et la conscience de sa vulnérabilité.

Martin Kopp est un «converti» à l’écologie, il l’a dit en ouverture de la conférence qu’il a donnée le 12 juin à l’Espace Maurice Zundel à Lausanne sur le thème «Théologie pour des vies épanouies» en écho à son ouvrage «Vers une écologie intégrale. Théologie pour des vie épanouies» (Labor et Fides, 2023). Par expérience, après un tour du monde durant lequel il a découvert à la fois la beauté de la création – qui a suscité en lui «reconnaissance, gratitude et le sentiment qu’il y a quelqu’un qui nous dépasse, Dieu pour moi» – et la dégradation de l’environnement – «en Inde notamment, ça vous agresse les yeux, les oreilles, les narines». S’est ainsi peu à peu forgée en lui une prise de conscience née d’un sentiment de souffrance devant la création blessée.

«J’ai vécu une véritable conversion à l’écologie», a affirmé le chercheur. Elle l’a amené à s’engager dans l’ONG interreligieuse GreenFaith, qui mène des actions pour la justice climatique ancrées dans la foi, et à devenir membre de la Fédération protestante de France.

Une crise des sens

Invité par l'Eglise réformée du canton de Vaud et accueilli chaleureusement par l'équipe de l'Espace Maurice Zundel, Martin Kopp a entraîné son auditoire – une trentaine de personnes – à cheminer entre la beauté et la blessure dans une perspective croyante. Soulignant, au long de la soirée, les enjeux et les défis actuels de l’écothéologie.

Un parcours en trois étapes: comment la théologie peut porter la promesse d’un sens renouvelé; comme elle peut porter la promesse de vies humaines libérées; enfin, quatre pistes spirituelles pour ouvrir la réflexion.

Pour Martin Kopp, «le bouleversement écologique actuel relève de la crise des sens: le sens comme signification, le sens comme direction, le sens comme sensibilité». «Toute société est porteuse d’un imaginaire qui répond à quatre questions: qui sommes-nous? Que sommes-nous les uns pour les autres? Où et dans quoi sommes-nous? Que désirons-nous, que voulons-nous, qu’est-ce qui nous manque?», a-t-il relevé.

La crise du sens comme signification a sa source dans l’imaginaire dont nous sommes les héritiers: «Une représentation de l’univers pyramidale avec l’homme en face et au-dessus de la nature, distinct et séparé d’elle. Celle-ci étant considérée en vertu de sa seule utilité pour l’homme». Une vision du monde à laquelle, a souligné le théologien, la Bible a contribué – le livre de la Genèse en témoigne.

Il y a aussi une crise du sens comme direction dans la mesure où «nous sommes les héritiers du récit du progrès productiviste et consumériste» qui nous pousse vers le toujours plus et le toujours nouveau. Au point, depuis les années septante, de décorréler croissance et bien-être avec les conséquences que l’on sait: destruction de l’environnement, dépressions, angoisses, panique. «Il faut renouer avec une croissance couplée au bien-être», a plaidé le conférencier.

Enfin, la crise du sens comme sensibilité est patente dans «la déconnexion entre l’être humain et le cosmos» – savez-vous que 80% des habitants de la planète ne voient pas la Voie lactée? En cause, la pollution visuelle. Et cela a des conséquences très profondes sur notre psychisme.»

Une masculinité toxique

L’écologie, a continué Martin Kopp, «est à l’intersection des dominations: homme-femme, Blancs-personnes racisées, …»; des rapports de classe, de genre, de «race» et coloniaux. L’examen des émissions de gaz à effet serre le démontre: «Ce sont les riches qui détruisent la planète» et les continents pauvres qui en font les frais. Et, a constaté le conférencier, «la masculinité toxique opprime une nature féminisée. La nature mère est devenue une femme publique dont il faut prendre possession, qu’il faut pénétrer. La croissance prédatrice, la mise en pièces de la nature est une histoire de mecs.»

Enfin «la révolution industrielle, a affirmé Martin Kopp, est basée sur le génocide: on a éliminé des populations entières, spolié des terres pour développer le commerce et l’industrie. Aujourd’hui encore, l’ordre raciste et colonial accapare le monde et nous en sommes le centre. Voilà bien une des racines de la crise écologique».

De la pyramide au cercle

«Comment, dans ces circonstances, aller vers des sens nouveaux pour des vies épanouies?», s’est interrogé Martin Kopp. «En commençant par transformer la pyramide en cercle, en remettant l’homme au cœur de la création: l’homme dans et avec le monde. Il se reconnaît même et identique, relié à la création, en symbiose et en interaction avec elle; serviteur, jardinier et protecteur de la création.» Sachant qu’elle porte en elle «du péché, de l’inaccompli: souffrance, prédation, parasitisme, qui est de l’ordre du pas encore». 

Allons vers «des récits de contentements joyeux», a exhorté l’écothéologien luthérien. Cela implique de «mettre des limites à la croissance économique pour une croissance d’une autre nature à partir de l’élan qui habite notre cœur». Notre regard sur la création sera alors empreint de profondeur, de gratitude et de joie.

Enfin, il importe de «se relier au monde et au vivant en puisant dans les ressources de la tradition chrétienne», les psaumes en particulier, qui décrivent un monde où chacun a sa place et où l’homme n’est pas un prédateur. Ainsi, «dominer – ce terme de la Genèse si souvent mal interprété – signifie être souverain sur un espace donné, sur un lieu d’existence alors qu’aujourd’hui nous accaparons tout!». Face à cela, quelle attitude responsable? Dominer sa domination, maîtriser sa maîtrise, disait le théologien protestant Jacques Ellul.

Faire ce qui est juste

Quelles solutions? L’écologie apparaît comme un lieu de libération des rapports de classe, de genre et de «race». En allant vers des planifications équitables, une reconnaissance par le Nord de sa dette – non remboursable – envers le Sud, la justice avant le pardon; vers des masculinités justes, à penser dans leur pluralité: qu’hommes et femmes deviennent des alliés, que l’on réhabilite la douceur et la vulnérabilité; et vers «une blanchité antiraciste».

En conclusion, Martin Kopp a livré quatre pistes théologiques pensées dans un esprit d’ouverture: la transformation est un cheminement: elle prend du temps, et il faut savoir s’arrêter; évitons la quête de pureté qui nous pousse soit vers l’orgueil, soit vers le désespoir et «fait de nous des repoussoirs, et non des reposoirs, pour les autres», sachant que tout geste compte; tendons vers l’engagement dégagé: «Lâchons prise sur le résultat, sortons du complexe de Superman, faisons ce qui est juste, ce qui est ajusté à notre foi»; enfin, trouvons en tout cela de la joie, dans une cohérence entre ce que nous vivons, pensons et faisons.

Et gardons le cap de l’espérance, avec le pape François dans l’encyclique «Laudato si’»: «Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer (…). Il n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus profond des cœurs humains».

Geneviève de Simone-Cornet

de la Plateforme enjeux spirituels de la transition écologique et sociale (TES) de l’EERV

Pensée du jour

Exalter / exulter (Luc 1,46-56)

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