Nombrils
Un feuillet trouvé dans une ravissante chapelle bretonne cet été.
Le soleil brillait de mille feux, le ciel et la mer rivalisaient de bleus, jusqu’au plafond de la chapelle peint en bleu clair avec sa charpente en forme de coque de bateau renversée.
Il faisait beau, sublimement beau, c’était délicieux, infiniment. L’idée saugrenue que nous voguions la tête en bas sur ce ciel joyeux m’a fait rire : voyage immobile, suspendu comme porté par cette présence d’Amour qu’est pour moi l’Esprit de Dieu.
Le feuillet n’était pas signé. L’Amour était Humour, et son rire répondait au mien comme un galet poli lancé vers l’infini sur un océan de tendresse.
Un titre, bizarre : Nombrils.
« Cela Me tracasse beaucoup, dit Dieu, cette manie qu’ils ont tous à se regarder le nombril, au lieu de regarder les autres. J’ai fait les nombrils sans trop y penser, comme un tisserand arrivé à la dernière maille et qui fait un nœud comme cela, pour que ça tienne, à un endroit qui ne paraît pas trop. J’étais trop content d’avoir fini ; l’important, pour Moi, c’était que ça tienne.
Seulement, ce que Je n’avais pas prévu, c’est l’importance qu’ils accordent tous à ce petit nœud, intime et bien caché.
Oui, de toute Ma Création, dit Dieu, ce qui M’étonne le plus et Me désole, c’est tout le temps qu’ils passent à se regarder le nombril, au lieu de regarder les autres, au lieu de s’intéresser aux autres.
Vous comprenez, dit Dieu, que J’hésite à dire que Je Me suis trompé. Et que si c’était à recommencer, si Je pouvais faire un rappel général, comme ça se fait maintenant lorsqu’un produit présente un défaut, Je Me demande si Je ne le placerais pas en plein milieu du front !
Comme ça au moins, ils seraient bien obligés de regarder le nombril des autres ! »
Jean-Christophe Jaermann