Témoignages

Comment prendre soin des autres en ces temps difficiles? Témoignages de personnes travaillant dans le domaine des soins

Souffle – respire – espère

En début d’année, notre Pasteur m’a proposé de témoigner de cette dernière année dans le cadre de mon travail d’animatrice en EMS. Exercice qui m’a permis de mettre des mots sur cette expérience de l’inattendu.

Cette peur qui montait dans le monde n’a pas épargné notre home.  D’un jour à l’autre il a fallu considérer chaque intervenant extérieur comme potentiel transmetteur de virus (familles principalement) et le devenir aussi, malgré masques et désinfectants. Une nouvelle façon de vivre ou chacun devenait suspect. Et nous nous sommes habitués à cette nouvelle vie. Le sentiment de communauté est devenu alors très important et nous avons passé de magnifiques moments ensemble, personnel et résidents, malgré la tristesse de ne pas voir les proches. Le sentiment d’être inutile pour lutter contre le virus et responsable de devoir être protégé est ressorti dans les discussions. Alors ensemble nous avons envoyé au monde nos pensées d’espoir et de paix en créant d’une grosse boule en sagex une terre où chacun a pu planter un message sous la forme d’un papillon et cela a donné un énorme corona virus d’amour. Nous étions dans la peur pour l’extérieur mais reconnaissants d’être ensemble pour faire face à l’intérieur. Plus de cultes, nous nous sommes débrouillés pour vivre, chanter, rire et pleurer parfois tout en se serrant les coudes. En été les visites ont repris au compte-goutte, difficile pour tous de garder la distance, d’être surveillés, de ne pas bien entendre avec les masques.

Avant Noël le virus a frappé fort et plus de la moitié des résidents ont été touché. Grande peur pour tous puis gentiment nous avons apprivoisé notre peur. Notre pasteure aumônier Isabelle Léchot, continuait d’appeler régulièrement toutes les personnes qui pouvaient répondre, téléphones et skipe avec les familles ont bien aidé à passer ces jours d’enfermement. J’ai été émerveillée de voir mes jeunes collègues affronter jour après jour et nuit après nuit le virus, en gardant leur calme, leur courage et avec beaucoup d’amour. Sentiment de communion pour passer la vague. Avant Noël les isolements se sont terminés et il a fallu du courage à chacun pour oser sortir de sa chambre. La vie a repris ses droits et cela nous a fait grandir tous ensemble. Nous nous méfions toujours du virus mais j’ai le sentiment qu’il a été intégré, il vit parmi nous, il a laissé des traces, des tristesses, il fait partie de la vie. Comme le dit Marion Muller-Collard, il ne s’agit plus de nous croire à l’abri de la menace, mais de nous croire capables de vivre avec la menace.

Cette année a été marquée pour moi par le souffle. Par la peur qui m’a coupé le souffle, les nouvelles qui au fil des mois m’ont fait retenir mon souffle. Par ceux qui ont rendu leur dernier souffle autour de moi. Mais aussi par des temps précieux pour reprendre souffle, pour souffler quelques mots d’amitié à l’oreille de l’autre et oser les recevoir aussi. Ce souffle qui fait de nous des Vivants. Ce souffle sacré qui vient doucement souffler sur nos braises pour les vivifier et enfin pouvoir respirer au large.
Claudine Cornu

Je suis infirmière indépendante. Chaque jour, je sillonne les routes de la région pour rejoindre des gens chez eux. Chaque jour je rencontre des frères et sœurs humains : âgés ou jeunes. Sympathiques ou rébarbatifs. Entourés ou très seuls. Rongés par l’angoisse ou l’amertume, ou étonnamment sereins, et cela indépendamment de leur croyance... Tous intéressants, tous beaux quelque part, avec leur histoire aux heures lumineuses et aux heures sombres. Tous à l’image du Christ. C’est un privilège que les gens me laissent entrer chez eux, soigner leur corps et même parfois entrevoir leur âme.

Comme j’interviens seule (ou avec seulement deux ou trois collègues), je reviens souvent. Tous les jours, toutes les semaines. Alors des liens se tissent. Et comme je n’ai pas de chef au-dessus de moi pour chronométrer mon temps, je prends parfois la liberté de m’attarder. Comme chez ce monsieur âgé qui m’annonce chaque matin qu’il ne veut plus prendre ses médicaments, mais qui les avale sans y faire attention pendant que nous bavardons devant une tasse de café. Évidemment, trente minutes pour trois comprimés, ce n’est pas à proprement parler du rendement… Mais ces trente minutes de bienveillance par jour, quel est leur valeur ? Pour lui, mais aussi pour moi ? 

A l’école d’infirmière, on m’avait appris à garder une distance professionnelle, à me méfier de mes émotions. Mais plus j’avance dans ce métier plus je suis rebelle, et désormais je fais exprès de m’impliquer affectivement. Parce que c’est la rencontre de l’Autre qui me fait vivre, et qu’on ne rencontre personne si on redoute de se laisser toucher. Cette insouciance, je la vis comme une grâce offerte par Dieu. Il m’offre ce cadeau extraordinaire de pouvoir m’approcher sans me brûler. Alors j’en profite avec gourmandise. Il n’y a aucune seconde de dévouement ou de sacrifice dans ma journée. Seulement du plaisir, et de la gratitude pour tout ce que je reçois et tout ce que je peux donner.
Anne-Claire Félix

Pensée du jour

4e dimanche de l’Avent (Luc 1,57–66)

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