Convertir mon regard !
Petite respiration toute en douceur sur la Règle d'or
Notre importance et notre inimportance
Pour explorer le texte biblique, voici quelques mots de Marion Muller-Collard dans "Eclats d’Evangile" (Bayard et Labor et Fides).
« Le poète Jean Sulivant écrit : "Quand un homme s’est trouvé, quand il a saisi son importance et son inimportance, il devient libre, insolent et amical, il crée, invente son passé même et chante de sa propre voix l’alléluia torrentiel de la vie surabondante à travers bonheur et malheur. »
Saisir son importance et son inimportance, voilà bien un appel d’Evangile. Avec, en corrélation, l’enjeu de saisir des opportunités et de renoncer aux inopportunités. Ainsi s’entendent les jeux d’action et de passivité entre Marthe et Marie dans le récit que Luc nous en fait.
« Tu t’agites pour beaucoup de choses », finit par soupirer Jésus devant l’hyeractvitié de Marthe. Pourquoi nous agitons-nous ? Certes, il y a beaucoup à faire, dans une journée. Chacun selon la part qui lui est impartie. Mais voilà, parfois, nous nous agitons plus que nécessaire. Nous « prenons les choses en main » et nous nous laissons embarquer dans un chapelet d’actions qui se succèdent à une vitesse vertigineuse.
Un jour, je m’abandonnai à la très banale plainte de la maîtresse de maison : j’accusais mon mari de manquer d’initiatives en terme de tâches ménagères. Quelqu’un me suggéra alors de convertir mon regard ; n’étais-ce pas moi qui abusais d’initiatives ? « Lui laisse-tu au moins le temps de songer à ce qu’il y aurait à faire ? ». Je ronchonnais. Je défendais que si je ne faisais pas tout et tout de suite, rien ne serait jamais fait. Cela fit pourtant son petit chemin et je constatai que si je faisais moins, mon mari au final finissait par faire plus. Il prenait dans sa main ce que je lâchais de la mienne. Le malheur de Marthe et de nous autres, ses pauvres soeurs de contrôle, est de ne rien vouloir lâcher. Où plaçons-nous notre importance lorsque nous tenons nos maisons et nos vies d’une main de maître ? Voilà la question que pose Marthe et à laquelle répond Jésus de façon un peu elliptique. Car à ses pieds se tient une femme qui n'aurait peut-être pas rechigné à prendre sa part si la maîtresse de maison le lui avait demandé, si elle avait senti une faille dans l’organisation, un manque dans la main-d’oeuvre pour ce jour. Mais voilà que marthe a les choses bien en main et qu’elle ne lâchera rien car c’est là qu’elle place certainement toute son importance. Marie, elle, fait sans doute partie de ces personnes dont parle Jean Sulivan : elle est libre d’avoir saisi son importance et son inimportance, elle s’est trouvée et sait qu’à ce moment-là, elle se tient au pied de sa propre importance. Car n’est-ce pas cela que Jésus incarne : l’importance de chacun de nous ? Non pas dans ce que nous faisons, mais dans ce que nous sommes, ouverts à cette rencontre à laquelle il invite par tout son Evangile. Alors Jésus fait simplement remarquer : « Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée.» Cette part, c’est lui-même, visage d’éternité penché sur nos conditions humaines, la face importante de nos inimportances. »
Respiration humoristique
Commentaire de la communauté de Taizé
Marthe, voulant bien accueillir, se met tout de suite au service pour que rien ne manque à ses hôtes. Puis, se voyant débordée par tout ce qu’elle voulait accomplir, elle commence à s’inquiéter et laisse son cœur s’endurcir contre sa sœur, qui l’avait laissée toute seule.
Jésus dit à Marthe qu’elle donne trop d’importance et s’inquiète pour des choses qui ne sont peut être pas si essentielles. Jésus ne critique pas le service que Marthe veut lui offrir. Il sait que c’est par amour qu’elle prépare toutes ces choses. Et c’est peut être avec beaucoup de tendresse qu’il lui dit « Marthe, Marthe… »
Mais Jésus n’est pas d’accord avec la critique que Marthe fait à sa sœur. Elle aussi est en train d’agir par amour : c’est par amour qu’elle a osé aller contre les formalismes de l’époque et s’est assise « aux pieds du Seigneur ». Marie « a choisi la meilleure part », car elle a choisi d’accueillir ce que Jésus lui donne. Elle écoute sa Parole, qui « ne lui sera pas enlevée », car toute Parole qui sort de la bouche du Seigneur ne retourne pas à lui sans avoir accompli sa mission (Isaïe 55,11).
La réaction de Jésus peut paraître en contradiction avec le passage de l’Évangile qui précède ce texte, la Parabole du bon Samaritain. D’un côté, Jésus invite à agir, à ne pas rester indifférent aux besoins des autres, mais à être toujours prêt à servir. De l’autre, il loue l’attitude de Marie, qui n’aide pas sa sœur et ne sert pas ses hôtes comme l’imposait la tradition.
En approuvant Marie, Jésus ne nous propose pas de rester passifs. Il dit : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent » (Luc 11,28). Il nous encourage à trouver du temps dans notre vie pour nous arrêter et accueillir sa Parole, pour demeurer assis à ses pieds, dans la position du disciple qui écoute son Maître. Et ce temps d’écoute, de silence et de prière, nous conduit à mettre la Parole en pratique, à aimer davantage, plus librement et plus gratuitement.
- Comment est-ce que je cherche à accueillir Jésus dans ma vie ?
- Contre quelles habitudes et quelles modes dois-je aller pour pouvoir me mettre paisiblement à l’écoute de la Parole ?