« Le renversement de l’Évangile » (20.10.24)

Marc 9, 30-41 : qui est le plus grand ?

30Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu'on le sache. 31Voici, en effet, ce qu'il enseignait à ses disciples : « Le Fils de l'homme est livré au pouvoir des humains : ils le mettront à mort ; et trois jours après, il ressuscitera. » 32Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de lui poser des questions.

33Ils arrivèrent à Capharnaüm. Quand il fut à la maison, Jésus questionna ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » 34Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. 35Alors Jésus s'assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. » 36Alors il prit un enfant et le plaça au milieu d'eux ; il l'embrassa et leur dit : 37« Celui qui reçoit un enfant comme celui-ci par amour pour moi, c'est moi qu'il reçoit ; et celui qui me reçoit, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais celui qui m'a envoyé. »

Prédication : « Le renversement de l’Évangile »

Résumé : Face aux disciples si humains, et devant leur question de savoir qui est le plus grand, Jésus leur enseigne le renversement de l’Évangile. Au lieu de se comparer, au lieu de jalouser, au lieu de chercher à « performer », Jésus nous invite à se faire petit, serviteur, comme il le fera sur la croix. Un grand homme est celui qui se fait petit, serviteur, et qui accueille l’autre comme un enfant. Un renversement de l’Évangile à vivre dans nos vies.

Prédication à écouter ici.

 

Chers frères et sœurs en Christ,

C’est quand la dernière fois que vous avez fait une comparaison ?

Quand, en cette saison automnale, vous avez fait votre rituelle hausse DEPRIME maladie ? Ou quand vous avez utilisé ce site très connu qui commence par une insulte et qui finit par ris (rien à voir avec la capitale de la France) ? Ou quand, comme cette collègue d’une amie, vous avez utilisé ChatGPT pour planifier vos vacances et comparer les bons plans ?

Comparer, nous le faisons en permanence. Comparer les prix, en particulier, comparer les offres, comparer les resto, comparer les Églises, si si, je vous jure, y’en a qui ont essayé !

Comparer, depuis tout petit : « Ah bon il ne marche pas encore à 16 mois ? Le mien marchait bien avant… » Comme si c’était une compétition… Qui est le premier à faire ci, qui est le meilleur à l’école, qui est le plus grand, en taille ou le plus important ? Entre frères et sœurs, en particulier, cela peut être assez fort : « elle a eu deux frites de plus que moiiiii ». Vous voyez le genre ? 

Et se comparer ouvre souvent sur la jalousie, ou l’envie : jalousie envers ceux qui ont davantage, de richesse, de pouvoir, de talents, ceux qui ont le plus de likes sur Instagram, etc. Être le plus grand. Le plus envié. Le plus « liké ». Le plus grand, celui qui détient la gloire, l’honneur et la puissance… C’est qui, le plus grand ? Et si c’était lui, le plus grand (2m51 quand même…) ? Oui mais on m’a dit que ce n’est pas la taille qui compte…

La jalousie, c’est comme le disait un estimé collègue une des plus remarquables armes du démon. Elle se nourrit d’abord de l’envie : l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, nous le savons bien ; elle se nourrit aussi d’insatisfaction : nous n’envions l’autre que parce que nous ne voyons pas notre propre bonheur ; elle se nourrit aussi de ces esprits chagrins qui voient toujours le verre à moitié vide ou qui n’arrivent pas à s’émerveiller des bonheurs de l’autre, de ses réussites, de ses qualités.

Ah la jalousie et la comparaison, quels traits si humains ! Quel trait si humain que de vouloir être le plus grand, le meilleur, le premier. Comme les disciples dans le récit d’Évangile du jour…

Je ne sais pas vous, mais moi, je me reconnais beaucoup dans ces disciples qui rivalisent pour être le premier. Moi aussi, à l’école je voulais avoir les meilleures notes, vous savez, un peu comme Hermione Granger dans Harry Potter. Et souvent encore aujourd’hui j’ai cette volonté perfectionniste contre laquelle je lutte tant bien que mal, cette ambition d’excellence... D’ailleurs notre société tout entière, avec sa culture du travail et de la performance, cherche exactement cela : de nous pousser à être meilleur que l’autre, plus grand, plus fort, de mieux « performer » que lui ! Et figurez-vous que l’autre aussi désire légitimement être le premier. Mais il ne peut y en avoir qu’un. Notre orgueil connaît alors la frustration, la jalousie, voire peut-être parfois la dépression… Pas si simple de vivre sous le régime de la comparaison…

Ah la jalousie et la comparaison, quels traits si humains ! Et pourtant quelle posture complètement anti-évangélique que celle-ci ! Imaginez un instant Jésus enseignant les disciples en leur disant : « comparez-vous les uns les autres » ! Non, c’est justement l’opposé de cela que dit Jésus, lorsqu’il dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. » Quel renversement ! Parce qu’avec Jésus, et en règle générale avec l’Évangile, tout est toujours renversé, inversé, chamboulé. Avec Jésus, le plus grand, ce n’est pas le plus grand. Le plus grand, pour Jésus, c’est celui qui se fait humble, c’est le serviteur. Le plus grand, avec Jésus, c’est le plus petit en somme. Et cette parole m’invite à changer mon regard sur le monde et à me convertir à l’Évangile qui renverse tout : qui sont les petits de notre monde, les serviteurs, qui sont en fait les plus grands ?

Jésus renverse donc notre hiérarchie avec nos complexes d’infériorité et notre soif de supériorité et d’orgueil. Le premier n’est pas l’homme à dépasser ; le dernier ou même le 2e, le suivant, a autant de valeur. Celui qui suit dans l’ombre n’est pas moins important. Le serviteur est aussi grand que le maître. L’enfant est aussi grand que l’adulte. 

Jésus annonce donc cette égalité radicale, non seulement une égalité sociale, mais également une égalité dans le regard que nous posons sur les gens, dans le respect, dans l’estime, et dans l’amour que nous avons pour chacune et chacun. Presque inconsciemment, habituellement, nous classons les gens, nous focalisons notre attention sur quelques-uns et nous négligeons les autres. Nous avons des préjugés, et très vite aussi, trop vite, nous nous faisons un jugement sur les gens. Mais Dieu lui ne juge personne. Il ne connaît pas les classements et les étiquettes. Il aime chaque être dans sa singularité unique et incomparable. MLK disait : « Dieu a les deux bras étendus. L'un est assez fort pour nous entourer de justice, l'autre assez doux pour nous entourer de grâce. »

Et en réalité, Dieu par son amour, nous libère. Il ôte nos chaînes d’orgueil, de jalousie et de comparaison. Il nous libère de nous-mêmes et de nos ambitions qui ne mènent à rien. Il nous libère de cet esprit de compétition qui nous enferme. Il nous ouvre les yeux sur la merveille de l’autre que nous n’avions pas vu, ce « petit » qui a autant de valeur de ce « grand ».

Alors, pour illustrer le message de l’Évangile, Jésus prend un « petit », un enfant, dans ses bras. Comme pour dire que l’Évangile est concret. Avec ce geste, Jésus appelle ses disciples à regarder vers le bas et à porter une attention particulière aux petits, car c’est à ce niveau-là que se vit le Royaume. A l’époque, l’enfant représentait ce qui est sans importance, sans valeur. D’ailleurs le mot grec « paidon », petit enfant, peut aussi signifier serviteur, esclave. Jésus les invite donc à devenir non pas le plus grand mais le plus petit, le plus serviteur.

Accueillir et vivre comme un enfant, c’est accepter d’être déstabilisé, c’est reconnaître que nous n’avons pas les réponses à tout, que nos certitudes peuvent vaciller et que nous avons toujours et encore à apprendre, toujours et encore à nous émerveiller devant la vie. Oui accueillir l’enfant, chers frères et sœurs, c’est laisser s’exprimer en nous cette capacité à l’émerveillement, à la confiance, à l’acceptation de dépendre de Dieu. 

C’est aussi laisser s’exprimer cette part d’enfant en nous que nous dissimulons bien souvent pour paraître adulte, fort. Oui nous pouvons aussi interpréter ce verset comme un appel à accueillir le petit qui est en soi, à ne pas fuir sa vulnérabilité. Dans la démarche de foi, Dieu ne m’attend pas dans les sommets de mon histoire, mais dans la fragilité de mon intimité. Dans ma vérité profonde qui n’est ni grande ni petite, juste la mienne, aimée par Dieu de manière inconditionnelle.

Mais ce n’est pas si simple. Car le démon est tenace, tout comme le jugement hâtif, la comparaison ou la jalousie le sont également. Aujourd’hui chers frères et sœurs, nous sommes invités à quitter cet état d’esprit, et à changer de regard pour vivre l’Évangile. Aujourd’hui, nous sommes invités à accueillir les petits, aujourd’hui nous sommes invités à servir. Oui mais… comment être serviteur dans votre vie ?

Ainsi, face aux disciples si humains, et devant leur question de savoir qui est le plus grand, Jésus nous enseigne le renversement de l’Évangile. Au lieu de se comparer, au lieu de jalouser, au lieu de chercher à « performer », Jésus nous invite à nous faire petit, serviteur, comme il le fera sur la croix. Un grand homme est celui qui se fait petit et qui accueille l’autre comme un enfant. Un renversement de l’Évangile à vivre dans nos vies, donc, pour une vie qui sera assurément… sans comparaison !

Amen.

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