"Le don comme justice, libération, reconnaissance" (02.02.25 par Alexandre Mayor)
Lectures bibliques
2 Corinthiens 9, 7 à 9 : 7Que chacun donne donc comme il l'a décidé, non pas à regret ou par obligation ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. 8Et Dieu a le pouvoir de vous combler de toutes sortes de bienfaits. Ayant toujours tout le nécessaire, vous serez même dans l'abondance pour contribuer à toutes sortes d'œuvres bonnes. 9Comme l'Écriture le déclare : « Il donne largement aux pauvres, sa bonté dure pour toujours ! »
1 Cor 4, 7 : Car en quoi penses-tu être supérieur aux autres ? Tout ce que tu as, ne l'as-tu pas reçu de Dieu ? Puisqu'il en est ainsi, pourquoi faire le fier à propos de ce que tu as comme si tu ne l'avais pas reçu ?
Actes 2, 44 à 47 : La vie de la première Église à Jérusalem : 44Tous les croyants étaient unis et partageaient entre eux tout ce qu'ils possédaient. 45Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils répartissaient l'argent ainsi obtenu entre tous, en tenant compte des besoins de chacun. 46Chaque jour, d'un commun accord, ils se réunissaient dans le temple, ils partageaient ensemble le pain dans chaque maison et prenaient leur nourriture avec joie et sincérité de cœur. 47Ils louaient Dieu et ils étaient estimés par tout le monde. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à leur groupe les personnes qu'il amenait au salut.
Prédication: "Le don comme justice, libération, reconnaissance" (02.02.25 par Alexandre Mayor)
Bonjour à vous,
Merci de m’accueillir aujourd’hui. Benjamin m’a demandé de vous parler du don aujourd’hui pour le stimuler dans la communauté. Je ne sais pas si c’est en vue de faire tourner l’Eglise MLK, ou pour une générosité tournée tous azimuts. En tous cas, j’ai trouvé l’idée très stimulante. Et vous ?
Non rassurez-vous, Benjamin ne m’a rien demandé du tout (et m’a laissé libre). Mais il paraît que c’est bien de commencer un message avec une blague pour capter l’attention.
Bref, j’espère que vous êtes tous avec moi désormais, à l’affut des bêtises que je vais peut-être dire, sur Benjamin ou sur le don.
Laissez-moi vous dire comment j’en suis arrivé à vouloir revisiter la question du don. Premièrement c’est une discussion avec un musulman qui m’expliquait l’obligation de faire des dons pour un musulman.
Et puis la seconde et principale raison, c’est une discussion il y a quelque temps avec un chrétien qui prend sa foi au sérieux et qui tente d’incarner ce qu’il croit. Cela peut être interpellant de parler avec lui. Parce que de la théorie, on est ramené à la vie pratique et à la cohérence, parfois violement.
Il m’a dit ceci, écoutez bien. Une personne devrait vivre en Suisse avec environ 600 Frs par mois pour respecter le climat et le vivant sur terre. Et pas seulement pour ça mais pour prendre sa part et pas plus que sa part de ce qui peut être consommé par personne au niveau mondial.
Si vous êtes intéressé par comment il fait ce calcul je vous en parle volontiers à la fin du culte.
Cela fait en quelque sorte un revenu disponible par habitant.e en tenant compte des limites planétaires. Un peu comme si on recevait chacune et chacun une tranche de gâteau qui soit équitable et qui respecte les limites de la terre.
J’ai trouvé ça déroutant, interpellant aussi. Une partie de moi se disait : « pas possible ». Et une autre qui pensait : « c’est sans doute à peu près juste ».
Il a en foncé le clou en disant que 600 frs c’était à mi-chemin entre les revenus les plus bas, comme à Haïti où certaines personnes vivent avec 60 Frs par mois et la Suisse où on est vers le 6800.
…
Et c’est comme ça que s’est posée à moi la question du don. Si nous avons trop me suis-je dis, c’est sans doute qu’il y a de la place pour donner davantage, avoir moins, partager. Peut-être pas tout, mais plus que ce qu’on pratique, plus que ce qu’on fait en général.
Je me suis demandé si une partie de ce que j’avais aurais en fait du revenir à quelqu’un d’autre.
Et c’est là que mon questionnement, qui j’espère est en train de devenir le vôtre rencontre la tradition biblique, et la tradition des pères de l’Eglise…
Ce qui est sûr, c’est que c’est un élément de base de la vie croyant.e dans l’AT et et le NT. Par ex dans Matthieu, dans le sermon sur la montagne, il est question de prière, de jeûne et d’aumône, autrement dit de don. Au chapitre 6, il est question de donner sans chercher une reconnaissance humaine. Sans en faire une fierté pour soi-même: « que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche ». Dans ce passage il est question de la manière de donner parce que la pratique du don est une évidence.
Dans les Actes on lit que la première communauté rassemblée autour des apôtres met tout en commun, afin que les besoins de chacune et chacun soient remplis. Autrement dit les riches font donations de leurs maisons et terrains et on permet à chacun.e de recevoir selon ses besoins.
Dans la 2e lettre aux Corinthiens, on voit que cette solidarité est même activée au niveau intercommunautaire, inter Eglise, les communautés de Macédoine et Corinthe soutiennent celle de Jérusalem. Paul donne toute sorte de raison à cela.
Par ex au chapitre 8 juste avant notre passage :
Il ne s’agit pas de vous mettre dans le besoin en soulageant les autres, mais d’établir l’égalité. L’égalité.
Et un peu plus loin : « En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins et ce qu’ils auront en trop compensera ce que vous aurez en moins : cela fera l’égalité comme il est écrit. ´
Qui avait bcp recueilli n’a rien eu de trop, qui a peu recueilli, n’a manqué de rien ».
Il ne s’agit pas, dans le texte de Paul, de se mettre dans le besoin, comme la femme au temple qui donne de son nécessaire. Mais donner de son surplus. Et puis, il y a réciprocité. Paul dit aujourd’hui ça va dans ce sens, demain, ce sera peut-être dans l’autre sens, en fonction des changements de la fortune.
Un modèle invoqué est celui de la manne dans le désert quand il parle d’une récolte où final personne ne manque de rien.
Avant de poursuive plus avant j’aimerais préciser que le don peut être obligatoire ou une liberté.
Dans les ex donnés il s’agit de la liberté de chacun.e de donner ou non. Mais pour nous aujourd’hui comme dans l’AT, pensez-y, le don a une dimension contrainte. C’était la dîme hier, en faveur, du temple, des Lévites qui sont les serviteurs du temple, et qui doivent redistribuer aux personnes dans le besoin. Cette dîme, c’est le 10e des récoltes ou du bétail.
Aujourd’hui ce sont les impôts, et les assurances sociales, qui contraignent par la loi à une mise en commun de ressource, et qui ont tous les deux des fonctions en partie redistributives.
Ainsi, quand nous payons nos impôts ou payons les assurances sociales, peut-être que nous pouvons nous souvenir de le Paul qui dit de donner avec joie, même si ce don est obligatoire.
…
Mais revenons au don libre. Pourquoi le pratiquer ?
Je vous propose trois raisons, qui sont d’ailleurs aussi valable pour le don obligatoire . Donner pour la justice, pour la libération, et par reconnaissance.
Donner comme justice se trouve dans le mot lui-même. En hébreu, aumône, parfois aussi rendu par charité en français se dit: tsedaka. Et le radical de ce mot, c’est Tsedek, la justice.
En un mot comme en mille, le don est une affaire de justice.
Les pères de l’Eglise sont particulièrement stimulant sur la question de la justice. Ils distinguent dans ce que nous avons entre le nécessaire, que nous gardons et le superflu, qui est sensé être partagé. Ils vont jusqu’à parler de vol fait au pauvre lorsqu’il y a accumulation de biens. Vol vis-à-vis des pauvres auxquels ces biens étaient destiné.
Leur raisonnement rejoint celui de mon ami sur le fait qu’il y a une limite à se donner par rapport à quelque chose à partager. Cette notion de limite est importante.
On voit la limite lorsque on observe, dans notre monde, d’un côté la surabondance, et de l’autre, le manque, la pauvreté
Est-ce que ce contraste n’est pas une invitation au don ?
Parlons maintenant du don comme libération : le don, toute forme de partage bien entendu libère la personne qui manque.
Mais c’est aussi celui qui possède qui est libéré par le don. Les Pères de l’Eglise écrive que la richesse est un piège qui conduit naturellement à l’idolâtrie, en donnant à l’argent la place réservée à Dieu. On entend comme un écho des évangiles ici, qui nous dit que nous ne pouvons pas avoir deux maîtres.
Les Pères invitent vivement les riches à se libérer de cette tentation par la générosité. Selon les mots de Cyprien :
« Ils croient posséder quand plutôt ils sont possédés, esclaves de leur fortune, et face à l’argent loin d’en être les maîtres ils lui sont asservis. »
A les en croire, le don permet de surmonter l’épreuve de l’argent et de résister à cette puissance autonome toujours tentatrice. L’offrande libère ; elle n’est pas un devoir, mais « la santé de la vie religieuse » selon une formule d’Antoinette Butte.
Le don est enfin reconnaissance.
C’est le fameux « Qu’as-tu que tu n’as pas reçu » de Paul. Ta vie, le salut, tout tes dons, ton corps, tes propriétés, jusqu’à ton compte en banque. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
Au final, seul Dieu est propriétaire. Nous ne sommes que des intendant.es. Nos richesses ne sont pas les nôtres. La reconnaissance c’est reconnaître cela. Et c’est aussi en tiré une joie qui dit merci à Dieu pour tous ses dons. Vous connaissez le psaume qui dit : Mon âme béni l’éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits.
Je vous pose la question. Comment en est-on arriver à perdre la culture massive du don qu’avait la première communauté chrétienne, les Corinthiens de Paul, les Pères de l’Église ? Peut-être que nous avons comme protestant tellement intégré qu’on n’achète pas Dieu par nos bonnes actions ou nos dons, ce qui est une bonne chose. Mais en même temps, il y a le risque d’oublier le don comme justice, comme libération du riche, et comme reconnaissance.
Pour finir, deux pistes. Pour ne pas se décourager et prendre au sérieux ce que nous avons lu dans les évangiles aujourd’hui.
Premièrement nous pouvons nous demander ce qui nous fait peur à l’idée de donner. C’est en tous cas une chose que j’ai identifiée en moi, partager, donner un peu plus, me fait peur. Essayons d’y voir plus clair, et s’il y a de la peur, de voir ce qui pourrait nous aider à avoir moins peur.
Et puis la deuxième piste toute pratique, c’est de se poser la question du nécessaire et du supreflu pour soi-même. Vous savez, les riches dans la narration donnaient de leur superflu. Alors, quel est mon nécessaire, et quel est mon superflu. Pas si simple sans doute de répondre. Mais cela peut sans doute nous aider. Car ce qui est identifié comme superflu pourra peut-être déposer une candidature pour devenir un don.
Amen