Vos lieux de culte Église 29

Comme Jésus se trouvait auprès du lac de Génésareth,

et que la foule se pressait autour de lui pour entendre la parole de Dieu,

il vit au bord du lac deux barques, d'où les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets.

Il monta dans l'une de ces barques, qui était à Simon, et il le pria de s'éloigner un peu de terre.

Puis il s'assit, et de la barque il enseignait la foule.

Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon: « Avance en pleine eau, et jetez vos filets pour pêcher. »

Simon lui répondit: « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre;

mais, sur ta parole, je jetterai le filet. »

L'ayant jeté, ils prirent une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait.

Ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque de venir les aider.

Ils vinrent et ils remplirent les deux barques, au point qu'elles enfonçaient.

Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus,

et dit: « Seigneur, retire-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. »

Car l'épouvante l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu'ils avaient faite.

Il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.

Alors Jésus dit à Simon: « Ne crains point; désormais tu seras pêcheur d'hommes. »

Et, ayant ramené les barques à terre, ils laissèrent tout, et le suivirent.

Évangile selon Luc 5, 1-11

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Frères et sœurs,

beaucoup de gens qui ont reçu une éducation dite chrétienne

sont allergiques à ces discours

où l’on répète que l’on est pécheur.

Ils y voient une forme d’autodénigrement,

pour ne pas dire de masochisme.

La foi comme une certaine haine de soi.

On ne pourrait se présenter à Dieu

qu’en répétant que l’on ne vaut rien.

Ou pire encore : que l’on est complètement vicié, pourri.

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Ce n’est pas un bondieusard ou une grenouille de bénitier

qui prononce ces mots en allant faire ses dévotions à l’église.

C’est un pêcheur de Galilée sur le lac de Génésareth

qui vient de remonter ses filets.

Un travail éprouvant,

d’autant plus que ces filets débordent de poissons.

Quelque chose qu’il n’avait jamais vu dans cette ampleur.

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

C’est un cri du cœur qui sort de la bouche de Pierre.

Rien à voir avec une leçon apprise, ou une pose surjouée.

 

Pierre est bouleversé.

Ce qui se passe ici,

tous ces poissons qu’ils ont pris dans leurs filets,

ce n’est pas normal.

Cela dépasse l’entendement.

 

Rien à voir avec un heureux hasard.

Il y a là quelque chose à l’œuvre qui dépasse l’humain.

Qui dépasse la nature.

Pierre sent bien qu’il est embarqué

dans quelque chose de très différent de tout ce qu’il connaît,

de tout ce qu’il peut comprendre.

 

Et il se sent complètement hors propos.

« Ça, ce n’est pas pour moi.

Je ne suis pas à ma place.

Je n’ai rien à faire ici. »

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Un cri du cœur donc.

Mais qui s’adresse à quelqu’un.

Jésus est là dans la barque.

C’est lui qui leur a demandé un service.

Avant de leur dire d’aller en eau profonde et de jeter les filets.

Pierre n’y croyait pas vraiment.

Mais il s’est laissé toucher par Jésus.

Juste quelques grammes de confiance.

Pas beaucoup plus.

« Peut-être y aura-t-il quand même quelques poissons. »

Pierre ne s’attendait pas à une telle pêche.

Et il le comprend bien : rien à voir avec le hasard.

C’est Jésus qui est la source de cela.

Mais qui est cet homme ?

Que se passe-t-il ici ?

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Il y a deux temps dans la réaction de Pierre.

Tout d’abord la surprise

face à ce que l’on doit bien appeler un miracle :

cette pêche qui dépasse tout ce qu’il avait imaginé,

tout ce qu’il a connu,

tous les récits que les autres pêcheurs ont fait.

Quelque chose qui dépasse le sens commun.

Les catégories dans lesquels ils se meuvent habituellement.

 

Ce n’est que dans un deuxième temps

que Pierre s’étonne de se retrouver, lui, un homme si simple,

projeté dans ce pays des merveilles.

Oui, « Qu’est-ce que je fais là ?

Je ne suis pas à ma place. »

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Je l’ai dit en ouverture :

il y a maintenant dans l’Église

comme un malaise face à ce genre d’affirmations.

Dire « Je suis pécheur », cela ne se porte plus.

Et dès que ces mots résonnent lors d’un culte,

les réactions ne se font pas attendre :

« Il y en a marre de cette autoflagellation.

Pourquoi ne parlez-vous pas de tout ce que l’on fait de bien ?

On se donne tellement de peine ! »

 

La question que nous posent les mots de Pierre se joue ailleurs.

Quelle expérience avons-nous de la grandeur de Dieu,

de sa présence agissante dans nos vies ?

Nous arrive-t-il encore d’être émerveillés, d’être saisis,

parce qu’il y a quelque chose qui nous dépasse ?

Quelque chose de si beau, de si enthousiasmant

que nous ne pouvons que nous étonner

d’en être partie prenante ?

 

C’est une question de regard.

On peut être blasé,

et tout trouver normal, pour ne pas dire ennuyeux.

En voyant surtout toutes les petites lacunes,

tous les défauts.

Tout ce qui pourrait, ou même devrait, être mieux.

 

Mais on peut voir un miracle

dans une pâquerette, dans une mouche,

dans le rire d’un enfant,

dans un « Bonjour ! » qui résonne.

 

On peut voir la main de Dieu, le souffle de Son Esprit,

partout autour de soi, et en être comme enivré.

« Mais qu’est-ce que j’ai fait

pour mériter cette beauté, cet amour ? »

 

On peut aussi s’indigner parce que Dieu n’en fait pas assez,

et voir dans ce monde un chenit

qui ne correspond pas à notre standing.

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Les mots de Pierre semble une conclusion :

« Nous ne vivons pas dans le même monde, à la même altitude.

Il vaut mieux que nous suivions chacun notre chemin. »

 

La suite du récit nous montre qu’il n’en est rien.

Ces mots sont plutôt un appel, une ouverture, une main tendue.

« Il n’y a que toi qui puisses me hisser à ta hauteur.

Mes forces à moi ne me le permettent pas. »

 

Et Jésus de répondre :

« Ne crains point ;

désormais, tu seras pêcheur d’hommes. »

 

Les paroles de Pierre ne sont ni un refus, ni une désertion.

Et ce sont encore moins l’anticipation,

la prémonition d’un refus de la part de Dieu.

 

Juste un pas en arrière pour mieux sauter en avant.

Pour se jeter tête baissée dans les bras de celui qui l’appelle.

 

- « Seigneur, retire-toi de moi ; car je suis un homme pécheur. »

- « Ne crains point ; désormais, tu seras pêcheur d’hommes. »

 

Oui, « ceci a touché tes lèvres ;

ton iniquité est enlevée et ton péché est pardonné. »

 

Pierre parle à Jésus.

Mais Jésus ne fait pas que parler à Pierre.

Il agit.

Il le relève.

Il lui fait faire le pas.

Il le met en route.

 

Un nouveau chapitre commence.

Peut-être même un nouveau livre.

Une nouvelle vie.

 

« Seigneur, retire-toi de moi ;

car je suis un homme pécheur. »

 

Ces mots sont tout le contraire d’une impasse.

Un blocage, une impuissance dont on ferait une vertu.

 

Pierre ne se vante pas, ni ne se morfond, d’être pécheur.

Ses mots ne sont pas un verdict définitif.

Ils sont comme suspendus dans un entre-deux.

Suspendus aux lèvres de Jésus qui va parler.

 

Cesser de s’accrocher à ses aveuglements.

Et commencer un nouveau chemin

que l’on ne peut faire qu’aux côtés de celui qui nous appelle.

 

Un moment charnière, donc,

qui n’a de sens que s’il est franchi et dépassé.

 

La confession des péchés, non pas comme un arrêt.

Mais comme un tremplin vers des matins nouveaux.

 

Tout simplement parce que – les croyants devraient le savoir –

le dernier mot ne nous appartient pas.

Mais il revient à ce Dieu qui s’est fait homme

pour nous relever par sa divinité.

 

Amen