Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance…
Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché,
Il verra une postérité et prolongera ses jours;
Et l’œuvre de l’Éternel prospérera entre ses mains.
A cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards;
Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes,
Et il se chargera de leurs iniquités.
Ésaïe 53, 10-11
Frères et sœurs,
nous rêvons de paix,
d’harmonie,
de bienveillance,
de sérénité.
Et autour de nous,
nous voyons des images de guerre,
d’ouragans,
d’inondations,
de personnes qui ont tout perdu.
La souffrance.
Le chaos.
Les cris.
Beaucoup de détresse.
Beaucoup d’agressivité aussi.
On cherche des coupables.
On s’invective.
La politique se réduit toujours plus
à des batailles de slogans.
Plus de place pour la discussion.
Plus de place pour l’écoute.
Il y a trop de pression.
Dans les universités américaines,
il y a maintenant des safe spaces :
des espaces sécurisés
où les étudiants peuvent se réfugier
quand ils ne supportent plus
d’être confrontés à des discours
qui les troublent.
Il n’est pas rare que l’on souhaite
que l’Église soit quelque chose de cet ordre :
un lieu à l’écart du vacarme du monde.
Un abri où tout n’est plus que douceur,
sourires et chants joyeux.
Seulement, au cœur de la foi chrétienne,
il y a le Christ cloué sur une croix.
Du sang qui coule.
Une vie qui s’en va
dans la douleur et la solitude.
Un moment critique
dont on préfère rester à distance.
Certains parlent ainsi de Jésus
comme du rabbi de Nazareth :
un sage qui racontait des paraboles
et guérissait les malheureux.
D’autres préfèrent voir en lui
un ressuscité « Téflon »
sur lequel la mort a glissé
sans laisser de trace.
Pourtant, même après Pâques,
les plaies étaient toujours là,
ouvertes, sur son corps.
Puisque Thomas a été invité
à y mettre les doigts.
La croix comme moment de vérité
auquel on n’échappe pas,
et dans lequel se trouve notre salut
si nous osons l’affronter,
et même plus,
si nous osons nous y plonger ;
nous mettre à son école.
Les traductions modernes atténuent
la dureté du début du passage d’Ésaïe.
Elles mettent :
« Dieu donne raison à son serviteur écrasé ».
La Bible du rabbinat, elle, est beaucoup plus directe et crue :
« Dieu a résolu de le briser, de l'accabler de maladies. »
Proche en cela de la version synodale qui a :
« Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance. »
Dieu qui inflige la souffrance,
c’est une idée qui nous fait frémir.
Mais qui nous hante aussi.
« Toutes ces guerres,
Dieu est-il impuissant
qu’il n’y mette pas un terme ?
Ou bien y trouve-t-il du plaisir ? »
L’idée semble blasphématoire.
Pourtant, qui oserait dire
qu’elle ne l’a jamais effleuré ?
« Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance. »
Vous le savez bien :
les apparences peuvent être trompeuses.
Ces mots ne disent pas forcément
ce que nous croyons entendre.
Il n’est pas question d’un Dieu sadique
qui jouirait de la souffrance qu’il inflige.
Dieu est au contraire présenté
comme un médecin
aux thérapie étonnantes et détonantes,
mais bien plus efficaces
que celles qui nous semblent les seules possibles.
La croix est parfois présentée
comme un accident.
Un malentendu.
Une erreur judiciaire.
« Les gens n’ont pas compris Jésus.
Ils ont eu peur.
Et c’est pourquoi ils l’ont fait condamner
et exécuter. »
D’autres y voient une preuve
de la corruption de la nature humaine
qui refuse la bonté, la bienveillance, la douceur,
et torture l’innocent qui vient, sans armes, parler
de paix et de réconciliation.
Le goût du sang plus fort que tout.
La violence comme une ivresse que rien ne peut arrêter.
« Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance. »
Ce qu’Ésaïe dit,
c’est que la croix n’est pas
la mise en échec du plan de Dieu.
La croix était le chemin tracé par Dieu
pour Son serviteur, pour Son Fils.
Ce n’est pas en la fuyant
que l’on va dépasser la violence.
C’est en l’assumant.
En la prenant sur soi.
En s’y plongeant volontairement.
Le Christ l’a bien dit :
« Personne ne m’ôte la vie,
mais je la donne de moi-même »
(Jean 10, 18a).
Ésaïe dit que
ce qui nous semble fou,
ce qui nous semble un massacre,
en réalité, cela permet à la vie
de sortir de la spirale fatale
et de repartir.
Un avenir est ainsi ouvert.
Le Serviteur donne sa vie,
et ce geste se révèle fécond.
« Il verra une nombreuse postérité ;
il vivra de longs jours
et l’œuvre de l’Éternel
prospérera entre ses mains. »
Le Serviteur ne cherche pas
à dénoncer la violence des hommes,
à mettre en lumière leur culpabilité.
Il n’accuse pas.
Il fait le bon geste.
Le geste juste.
Le geste de justice.
Ce qui veut dire, dans le vocabulaire de Dieu,
le geste de bonté,
le geste de générosité.
Et par cela, il rend les hommes justes.
Il révèle qu’ils ne sont pas des criminels,
des monstres.
Mais ceux que Dieu aime.
Ses bien-aimés.
Quelle leçon en tirer pour nous aujourd’hui
dans le contexte si difficile de toutes ces crises ?
Tout d’abord, ne pas oublier
que ceux qui tuent et massacrent,
ceux qui envoient leurs troupes bombarder des civils,
ceux qui ne se soucient pas des dégâts collatéraux
qu’ils peuvent commettre,
sont eux aussi l’objet de l’amour de Dieu.
Eux aussi sont les bien-aimés de Dieu.
Nous nous rêvons parfois
glaive vengeur de l’Éternel.
Un glaive
qui éliminerait les méchants :
Vladimir Poutine,
Kim Jong Un,
et maintenant peut-être aussi
Bibi Netanyahou.
Avec aussi tous ceux qui les admirent.
Les soutiennent.
Leur obéissent.
À travers Son Serviteur Jésus,
Dieu a une tout autre attitude.
Il se laisse toucher par les méchants.
Même si cela fait mal,
et plus que cela.
Il ne les renvoie pas loin de Lui.
« Vous n’avez rien à voir avec moi. »
« Berk ! », diraient les enfants.
Non, je le répète :
dans Son Fils Jésus,
Dieu se laisse toucher par les méchants.
Et ainsi, ceux-ci se retrouvent en contact direct
avec Sa bonté, Sa douceur, Sa simplicité,
qui vont laisser sur eux
comme la marque de Son amour.
Répondre à la haine par la haine,
ce n’est que rajouter de la haine dans ce monde.
L’exemple du Christ nous invite
à prier pour les bourreaux,
pour ceux qui se complaisent dans le meurtre
et la violence,
et s’efforcer ainsi de les toucher, à distance,
par notre amour,
par ce regard bienveillant que nous portons sur eux :
« Père, pardonne-leur ;
car ils ne savent pas ce qu’ils font »
(Luc 23, 34).
Prier pour les bourreaux donc.
Mais aussi prier pour les victimes.
Non seulement pour qu’elles soient épargnées
par la souffrance.
Mais aussi pour que, si elle les frappe,
elle ne détruise pas leur cœur.
Prier pour les victimes,
afin que, dans leur souffrance,
elles soient capables
de prier pour leurs bourreaux.
Rester humain,
en ne perdant jamais de vue
l’humanité des autres.
Même de ceux qui nous font du mal.
Ne vous trompez pas,
il ne s’agit pas d’une exigence morale
que l’on imposerait à ceux qui souffrent déjà
infiniment plus que nous.
Il s’agit d’une bénédiction
que l’on invoque sur eux.
Que leur cœur reste vivant et sain.
Qu’il ne soit pas infecté par la haine.
Qu’il reste débordant d’amour.
Qu’il soit une source d’amour
au cœur même de la destruction.
Oui, prier pour que le cœur
de ceux qui souffrent dans leur corps
ne soit pas détruit lui aussi.
Mais que la bonté de Dieu
y rayonne
et puisse apporter de l’intérieur
une lumière qui puisse
changer ce monde.
Ou en tout cas l’empêcher
de basculer complètement
dans le chaos.
Nous aimerions bien sûr
vivre dans un autre monde
où la paix règnerait.
Mais la seule chose sur laquelle nous avons prise,
c’est notre cœur.
Ce que nous y laissons entrer.
Alors, plutôt qu’aux jugements extrêmes
qui ne font qu’empirer la situation,
c’est à l’Esprit du Christ qu’il faut ouvrir notre porte.
Cet Esprit fait d’amour, de joie et de paix.
Cet Esprit fait de confiance, de douceur, et de maîtrise de soi.
Amen