Alors, levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit :
« Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous.
Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant : vous rirez.
Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent
et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme.
Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie,
car voici, votre récompense est grande dans le ciel ;
c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais malheureux, vous les riches : vous tenez votre consolation.
Malheureux, vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim.
Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous :
c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.
Évangile selon Luc 6, 20-26
« Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim.
Malheureux, vous qui riez maintenant :
vous serez dans le deuil et vous pleurerez. »
Frères et sœurs,
les béatitudes sont bien connues.
C’est un des fondamentaux de la foi chrétienne.
Nous sommes nettement moins à l’aise
avec cette liste que Jésus fait des « malheureux ».
Surtout que dans les anciennes traductions,
il était dit : « Malheur à vous… ! »
Une ombre funeste qui plane sur les riches et les repus.
Avec un ton revanchard dans la voix :
« Vous ne l’emporterez pas au paradis. »
« Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim. »
L’affaire semble claire.
Il va y avoir un retour de manivelle.
Après la satiété, la faim.
Après le rire, les larmes.
« Vous ne pensiez tout de même pas
vous en tirer à si bon compte ? »
Une sanction
pour s’être fait plaisir pendant que d’autres souffraient.
« Vous n’avez pas honte ? Maintenant, à vous d’avoir faim ! »
Une justice sévère.
Mais qui n’est pas sans fondement, sans logique.
D’ailleurs,
nos plaisirs de nantis ne vont pas sans un certain malaise.
On sait bien que les 90 pourcents de la planète
ont une vie bien plus difficile que nous.
Alors, pour apaiser notre mauvaise conscience,
nous faisons des dons aux ONG qui s’engagent contre la misère.
Celles-ci ont compris le truc, et usent de ce levier :
« Vous avez besoin de vous racheter ! »
« Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim. »
Et s’il s’agissait d’autre chose ?
Et si les apparences nous induisaient en erreur ?
Vous le savez, elles sont souvent trompeuses !
Non pas une sanction après coup.
Mais quelque chose qui se joue déjà dans le moment,
en profondeur.
La faim comme quelque chose
qui est là en filigrane dans la satiété,
et qui ronge déjà maintenant
le bonheur que l’on croit ressentir.
On connaît le phénomène de la boulimie.
Des jeunes femmes qui mangent encore et encore,
et qui se font vomir pour pouvoir encore manger.
L’estomac plein, la satiété.
Mais qui n’apaisent pas la faim.
Une faim intense que rien ne peut satisfaire.
Que rien ne peut combler.
N’y a-t-il pas là comme une image de notre société ?
On consomme toujours plus.
Et on n’en a jamais assez.
Comment a-t-on pu vivre sans smartphone ?
Et comment peut-on vivre sans le dernier modèle ?
« Vous avez goûté ceci ? »
« Vous avez vu cela ? »
Courir toujours plus vite.
Ne surtout rien manquer.
On souffre déjà d’indigestion.
Et on continue à s’empiffrer.
Tout en étant incapable d’assimiler ce que l’on avale.
Oui, « Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim. »
La même clé vaut pour les autres affirmations.
« Malheureux, vous les riches :
vous tenez votre consolation. »
Dans les rues de nos villes,
il n’y a pas beaucoup de visages radieux
Les pays riches, ce n’est pas que l’argent.
C’est aussi la nervosité et la dépression.
Les pilules pour tenir.
On a tellement peur de perdre son statut et ce que l’on a acquis
que l’on en oublie qu’il y a d’autres richesses qui s’offrent à nous
sans qu’on ait besoin de les mériter.
Et qu’elles suffisent pour donner un sens à la vie.
Pour la remplir de joie.
Jésus dit encore :
« Malheureux, vous qui riez maintenant :
vous serez dans le deuil et vous pleurerez. »
Jamais il n’y a eu autant d’humoristes
à la radio ou à la télévision.
Mais c’est souvent un rire méchant.
Un rire où l’on se moque.
Un rire qui cache l’anxiété
que les autres puissent se moquer de moi.
Un rire triste.
Un rire funeste.
Qui divise et qui ne rassemble pas.
Être du bon côté.
En sachant que la roue tourne vite.
Qu’en un instant on devient un ringard, un loser.
Celui dont on rit.
Le passage se termine par ces mots :
« Malheureux êtes-vous
lorsque tous les hommes disent du bien de vous :
c'est en effet de la même manière
que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
La popularité comme un Graal.
Accumuler les « like » sur Facebook,
les vues sur Youtube ou sur Tiktok.
Beaucoup de jeunes rêvent d’être influenceurs,
c’est-à-dire d’avoir beaucoup de gens
qui regardent les vidéos qu’ils postent sur Internet.
Le contenu étant totalement secondaire.
Et puisque la foule a toujours besoin de nouveaux visages,
la gloire ne dure souvent que quelques mois,
quelques semaines.
Et après l’on n’est rien.
Tout simplement parce que l’on n’était déjà rien
au moment où l’on était adulé.
Sans rien de consistant à offrir.
Le constat est implacable.
Et même très dur.
Mais Jésus montre aussi un chemin
pour sortir de cette impasse.
C’est la première partie de son discours : les béatitudes.
« Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous. »
La pauvreté, ce n’est pas la misère.
C’est la main ouverte qui peut recevoir.
Le contraire du trop-plein.
La disponibilité.
Une ouverture.
Car quelque chose peut venir.
Quelque chose va venir.
Quelqu’un est là qui veille sur nous.
Et à ne compter que sur ses propres forces,
on se prive de cette relation, de cet amour.
Jésus dit aussi :
« Heureux, vous qui avez faim maintenant :
vous serez rassasiés. »
Dans les monastères, les moines sont invités à sortir de table
en ayant encore un peu faim.
Une façon de nourrir la confiance.
Quelqu’un a donné.
Et donc il redonnera encore.
Inutile de me caler l’estomac
en prévision de la disette.
Une bonté m’attend aujourd’hui,
et demain, et après-demain.
Je ne suis pas abandonné.
Les béatitudes se poursuivent :
« Heureux, vous qui pleurez maintenant : vous rirez. »
Les larmes, c’est un aveu d’impuissance.
Et cela nous fait peur.
Nous préférons chercher des solutions,
ou, au moins, des explications.
Toujours cette impression que tout repose sur nos épaules.
Pleurer, c’est s’avouer démuni.
Et ne pas avoir peur de le montrer.
Parce que Quelqu’un est là qui nous consolera.
Parce que Quelqu’un est là qui nous ouvrira un chemin
là où, nous, nous ne voyons qu’une impasse.
La dernière des béatitudes dit :
« Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent,
lorsqu'ils vous rejettent
et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme,
à cause du Fils de l'homme. »
Le Fils de l’homme n’est pas un logo
qui résumerait nos convictions.
C’est Quelqu’un de réel.
Celui qui a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. »
Être de Son côté, c’est être du bon côté, quoi qu’il arrive.
Même si les autres ne le comprennent pas.
L’important n’est pas d’avoir la majorité avec soi.
L’important, c’est de vivre dans l’amour de notre Sauveur.
Les béatitudes nous disent en fait une seule et même chose :
nous ne sommes pas seuls à tracer notre chemin dans cette vie.
Inutile donc de rouler des mécaniques
pour ne pas être dépassé par les autres.
Quelqu’un est là qui marche avec nous, qui nous guide,
qui nous donne ce dont nous avons besoin.
Nous pouvons lui faire confiance.
Lui remettre nos soucis, nos chagrins, nos peurs.
Non seulement il saura quoi en faire.
Mais il fera quelque chose.
Puisqu’il a soin de nous.
Oui, la vraie clé du bonheur,
c’est de vivre avec Quelqu’un.
De vivre pour Quelqu’un.
De vivre dans l’ouverture à Quelqu’un.
Et nous sommes bienheureux, puisque ce Quelqu’un existe.
À Lui notre joie et notre reconnaissance.
Maintenant et toujours.
Amen