Vos lieux de culte Église 29

Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples :

« Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse :

faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire,

mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas.

Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes,

alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.

Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes.

Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.

Ils aiment à occuper les premières places dans les dîners

et les premiers sièges dans les synagogues,

à être salués sur les places publiques

et à s’entendre appeler “Maître” par les hommes.

Pour vous, ne vous faites pas appeler “Maître”,

car vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères.

N’appelez personne sur la terre votre “Père”,

car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste.

Ne vous faites pas non plus appeler “Docteurs”,

car vous n’avez qu’un seul Docteur, le Christ.

Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.

Quiconque s’élèvera sera abaissé,

et quiconque s’abaissera sera élevé."

Évangile selon Matthieu 23, 1-12

 

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ».

Car vous n’avez qu’un seul Maître ;

et vous êtes tous des frères. »

 

Frères et sœurs,

 

nous vivons dans un monde

qui aime les compétences et les diplômes.

Tout le monde est d’une façon ou une autre un expert.

Il y a ceux qui ont une maîtrise,

ceux qui font un master,

et ceux qui se retrouvent à la pause

à la salle des maîtres.

 

Seulement, Jésus nous presse :

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ». »

 

Facile à dire.

Mais comment trouver du travail

si l’on ne met pas en avant

certaines qualités,

pour ne pas dire

certaines supériorités ?

 

Lorsque j’ai rencontré il y a quelques mois

la référente métier de notre Église

pour évoquer une fatigue personnelle,

elle m’a répété

que je devais me vendre.

Autrement dit,

ne pas évoquer mes fragilités,

mais au contraire répéter que je suis un Maître.

 

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ». »

 

Jésus visait un petit groupe

qui se prenait pour une élite.

 

À l’heure actuelle,

la situation est différente.

Tout le monde est maître en quelque chose.

Mais avec un champ de compétence

très clairement défini et limité.

 

On trouve encore bien sûr des leaders d’opinion

qui servent de caisse de résonance

à ce que les gens ressentent.

Mais il n’y a plus vraiment de maître à penser :

ces personnes que l’on écoute

et qui font réfléchir ;

qui amènent à voir les choses autrement,

à changer d’opinion.

 

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ». »

 

Cela va peut-être vous sembler surprenant,

mais je ne crois pas que cela soit

un si gros problème actuellement.

 

La crise de l’autorité touche tous les domaines.

Les enseignants sont contestés par les parents d’élèves,

ou par les étudiants qui puisent toutes sortes d’informations

sur Internet.

Les politiciens se cachent derrière les rapports d’experts

pour ne pas devoir exposer leurs limites.

Les artisans même sont confrontés à des bricoleurs du dimanche

qui prétendent en savoir plus long qu’eux

parce qu’ils ont vu quelques vidéos sur Youtube.

 

Plus grand monde ne se fait appeler « Maître » avec arrogance,

ou même simplement avec assurance.

La tendance est de contester les autorités,

pas de prétendre en être une.

 

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ». »

 

C’est une évidence aujourd’hui.

Rien qui puisse susciter des vagues.

 

Par contre, la justification que Jésus donne

va, elle, complètement à contre-courant.

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ».

Car vous n’avez qu’un seul Maître. »

 

Vous l’avez bien entendu :

Jésus ne rejette pas tous les maîtres.

Il ne dit pas qu’il n’y a pas de maîtres.

C’est tout le contraire.

Il dit qu’il y a un maître.

Un seul.

Mais un vrai.

Et c’est pourquoi

personne ne peut prétendre occuper

cette fonction.

 

Là, cela devient plus difficile.

« Ni Dieu, ni César, ni maître » :

bien des gens se reconnaissent

dans cette devise.

Jésus, lui, dit :

« Vous vous trompez :

il y a un maître,

et c’est Dieu. »

 

Même pour des croyants,

ce n’est pas facile à admettre.

On a tellement souffert

de l’autoritarisme de l’Église,

que l’on a réduit Dieu

à un coach personnel

qui fait des propositions

que l’on suivra ensuite ou non,

sans que cela prête à conséquence.

 

Dieu comme un maître :

cela semble brutal, violent.

Nous ne voulons plus de maîtres.

Nous ne reconnaissons plus de maîtres.

Ou plutôt,

nous en reconnaissons un et un seul :

nos propres représentations,

nos convictions intimes,

nos envies.

C’est une évidence absolue :

personne n’a son mot à dire sur ma vie.

À part moi, bien sûr.

Car c’est moi qui décide ce que je fais,

comment je mène mon existence.

 

 

Jésus dit que nous ne devons pas

nous faire appeler : « Maître ».

Il dit surtout qu’il n’y a qu’une personne

que nous pouvons appeler : « Maître »,

et c’est Dieu.

 

Bien des croyants

ont trouvé dans cette parole

la force de résister

à des tyrans

ou à des régimes totalitaires.

 

Refuser de s’incliner devant les statues de leaders.

Refuser de prendre pour argent comptant

les envolées lyriques des beaux-parleurs.

Refuser de se fondre dans la foule

qui s’émerveille et s’aveugle.

 

Au temps du communisme,

un pasteur dissident tchèque

a écrit une chanson dont le refrain dit :

« C’est dans le ciel qu’il y a un trône :

le siège de la vérité.

C’est dans le ciel qu’il y a un trône :

rappelle-le à tous ceux qui veulent gouverner. »

 

Avoir un maître,

c’est être libéré de tous ceux

qui se prétendent maîtres.

Avoir un maître,

c’est savoir que

tout ce que les autres peuvent dire,

cela ne peut pas être le dernier mot pour moi.

 

Cela vaut face à Hitler, face à Staline,

et aussi face à Bill Gates, face à Steve Jobs, face à Elon Musk.

Cela vaut face au pape,

puisque nous célébrons aujourd’hui

le dimanche de la Réformation.

Et cela vaut aussi face au conseil synodal de notre Église,

puisqu’il ne suffit pas de se dire protestant

pour être vraiment libre.

Cela vaut face au secrétaire général des Nations unies,

et aussi face à celui de l’OTAN.

Cela vaut face aux porte-paroles des ONG,

et aussi face à ces acteurs hollywoodiens

qui ne cessent de faire la morale aux autres.

 

Et cela vaut surtout face à moi.

Car il est là le maître le plus intransigeant qui soit.

Celui qui me réduit en esclavage.

On ne se rend souvent pas compte

de la pression que l’on se met soi-même,

des souffrances que l’on s’impose,

pour correspondre à des envies, à des rêves,

que personne ne nous oblige de suivre.

 

N’avoir qu’un seul maître,

c’est savoir mettre en doute cette voix-là, elle aussi.

Dieu ne me demande pas d’être parfait.

C’est moi qui m’impose cette charge.

 

Dans le premier couplet de sa chanson,

le pasteur tchèque disait :

« Eh mec, tu veux diriger,

imprimer ta marque sur les jours,

redescends sur terre, espèce de cinglé,

ne t’assieds pas sur ce trône. »

 

Dans un travail personnel

que j’ai effectué sur moi-même,

j’ai découvert

que les exigences qui m’ont fait le plus de mal

ne venaient pas de l’extérieur,

de gens autour de moi,

mais bien de mon cœur.

 

Redécouvrir le seul vrai maître,

c’est aussi se libérer de cela.

Tout simplement

parce que notre vrai maître

est différent de tous les autres :

il n’est pas dur et écrasant,

mais doux et humble de cœur.

Il ne mutile pas.

C’est tout le contraire.

Il ne brise pas le roseau plié.

Il n’éteint pas la lampe qui fume.

 

« Ne vous faites pas appeler : « Maître ».

Car vous n’avez qu’un seul Maître. »

 

La parole de Jésus semble mettre

sur le même niveau

ces faux maîtres que sont les pharisiens

et le seul vrai maître que nous avons dans le ciel.

 

Mais les apparences sont trompeuses.

Car il est question ici de deux réalités bien différentes.

Et, pour le comprendre, il faut redescendre sur terre.

Quitter le jeu des idées et retrouver la vie concrète.

Ne pas juste dire que le Christ est notre maître,

mais se mettre à genoux devant lui,

devant ce Roi qui n’élève pas la voix

et qui vient à nous monté sur un âne.

 

Oui, un maître qui ne s’impose pas,

qui ne contraint pas.

Et en même temps,

un maître qui nous donne la liberté

et la force,

pour autant que nous lui faisions allégeance,

pour autant que nous lui donnions

toute autorité sur nous

et sur notre vie.

 

À Lui nos prières et nos louanges,

maintenant et toujours.

 

Amen