Vos lieux de culte Église 29

Voyant les foules, [Jésus] fut pris de pitié pour elles,

parce qu’elles étaient harassées et prostrées

comme des brebis qui n’ont pas de berger.

Alors il dit à ses disciples :

« La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ;

priez donc le maître de la moisson

d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. »

Ayant fait venir ses douze disciples,

Jésus leur donna autorité sur les esprits impurs,

pour qu’ils les chassent et qu’ils guérissent toute maladie et toute infirmité.

Voici les noms des douze apôtres.

Le premier, Simon, que l’on appelle Pierre, et André, son frère ;

Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ;

Thomas et Matthieu le collecteur d’impôts ; Jacques, fils d’Alphée et Thaddée ;

Simon le zélote et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra.

Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes :

« Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ;

allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.

En chemin, proclamez que le Règne des cieux s’est approché.

Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons.

Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. »

Évangile selon Matthieu 9, 36 - 10, 8

 

« Vous avez reçu gratuitement,

donnez gratuitement ! »

 

Frères et sœurs,

dans cette parole,

nous percevons une demande.

Et nous réfléchissons à ce qu’il faudrait faire

pour « donner gratuitement ».

 

Mais n’est-ce pas brûler les étapes ?

Est-ce une telle évidence

que nous ayons reçu gratuitement ?

 

Nous l’avons entendu bien des fois.

Une leçon que l’on nous a répétée.

« sNous avons reçu gratuitement. »

Qui pourrait l’ignorer ?

 

Mais répéter des mots,

ce n’est pas la même chose

que de parler

à partir de son ressenti,

à partir d’une expérience

que l’on a faite.

 

Alors est-ce pour nous

quelque chose de vraiment concret,

et même de tangible

que nous ayons reçu gratuitement ?

Est-ce quelque chose qui nous porte,

qui nous réjouit,

qui marque notre cœur et notre vie ?

 

Notre foi est souvent scolaire.

On nous a appris tant de choses

au catéchisme.

Et on nous les répète

lors des cultes.

Des mots

qui peuvent tourner à la rengaine,

et que l’on enseignera soi-même

à d’autres personnes,

à d’autres générations.

 

Souvent on n’a pas pris le temps

de laisser ces paroles résonner

et prendre chair en nous.

Souvent on n’a pas pris le temps

de savourer la réalité

à laquelle elles renvoient,

et de laisser cette réalité

imprégner notre vie :

notre esprit,

notre cœur,

et jusqu’à notre corps.

 

« Vous avez reçu gratuitement,

donnez gratuitement. »

 

Jésus semble évoquer

deux phases distinctes.

Une première où l’on a reçu

et qui est maintenant close.

Et une deuxième où l’on se trouve maintenant

et où il faut donner.

« Fini de rire :

au boulot ! »

 

La traduction est un art difficile.

Quoi que l’on fasse,

quelque chose se perd.

Un bon traducteur en est conscient

et se sent toujours mal à l’aise,

toujours insatisfait.

Le mauvais traducteur, lui,

n’a pas ces scrupules :

« De toute façon,

ce qui se perd

n’a pas grande valeur. »

 

En hébreu,

le temps des verbes

ne correspond pas

à ceux du français.

Il n’y a pas passé, présent, futur.

Il y a accompli et inaccompli.

Une action à l’accompli

peut avoir son origine

dans le passé,

mais elle peut aussi se prolonger

dans le présent,

et même se prolonger dans le futur.

L’important,

c’est que l’on parle

de quelque chose de réel,

quelque chose de tangible.

 

« Vous avez reçu gratuitement. »

 

Ce que nous entendons en français,

ce n’est pas juste un accomplissement,

mais une forme d’achèvement.

Ça a eu lieu.

Mais c’est terminé maintenant.

On passe à autre chose.

 

Le catéchisme nous présente

souvent ainsi

la bonté de Dieu :

comme quelque chose

qui appartient au passé.

La création du monde.

La sortie d’Égypte.

Le don du Christ sur la croix.

Dieu a donné.

Dieu a été généreux.

À nous maintenant d’être à la hauteur.

 

Chaque année, à Pesach,

les Juifs, eux, vivent vraiment la sortie d’Égypte au présent.

Et chaque semaine, lors du sabbat,

ils sont plongés dans le septième jour de la Création,

au présent là aussi.

La bonté de Dieu,

la générosité de Dieu,

comme quelque chose qui bouleverse ma vie,

qui change mon présent du tout au tout.

Un autre regard.

 

Le protestant se sent parfois

plus obligé par la bonté de Dieu,

que choyé ou porté par elle.

 

« Vous avez reçu gratuitement » :

n’y aurait-il pas là un levier

que Jésus actionnerait

pour que nous ne puissions pas

nous défiler ?

Dieu qui donne gratuitement

pour que l’on soit obligé

de le payer en retour ?

 

Une idée tordue, non ?

Et pourtant elle a fait son chemin.

C’est un des mécanismes du marketing.

Vous savez :

le petit cadeau qui n’engage à rien.

 

Mais Dieu le répète dans la Bible :

ses voies sont différentes des nôtres.

Et c’est pourquoi il est important

de s’arrêter et de réfléchir

pour bien comprendre ce qu’il nous dit,

plutôt que de projeter sur lui

nos manières de penser et de faire.

 

« Vous avez reçu gratuitement »

 

« Oui, dès votre naissance

vous avez reçu gratuitement.

Et aujourd’hui encore,

vous continuez de recevoir gratuitement.

Et demain aussi, vous recevrez gratuitement.

Jusqu’à la fin de votre vie.

Jusqu’à la fin de monde.

Et même au-delà :

dans l’éternité. »

 

« Vous avez reçu gratuitement,

donnez gratuitement. »

 

Et le Christ d’envoyer ses disciples

chasser les esprits impurs

et guérir toutes sortes

de maladies et d’infirmités.

La tâche semble démesurée :

« Guérissez les malades,

ressuscitez les morts,

nettoyez les lépreux,

chassez les démons. »

Comment ne pas se sentir écrasé par toute cette liste ?

 

Seulement,

si l’on est un malade qui a été guéri de sa maladie,

si l’on est un mort qui a été sorti du tombeau,

si l’on est un lépreux qui a été nettoyé de ce mal qui le recouvrait,

si l’on est un possédé qui a été libéré des démons qui le torturaient,

eh bien les choses se présentent différemment.

Ce que Jésus demande, ce n’est pas impossible,

puisqu’on l’a vécu soi-même dans sa personne, dans son être.

 

Bien sûr,

cela ne peut faire sens pour nous

que si nous voyons large.

Certaines communautés

s’attachent à des guérisons spectaculaires.

Des cancers très avancés

qui disparaissent du jour au lendemain.

Des membres déformés

débarrassés de leur infirmité

par un simple geste de la main,

avec, bien sûr, une communauté priante

tout autour.

Mais n’avons-nous pas, nous aussi,

vécu des guérisons ?

Peut-être plus discrètes,

mais pas moins importantes.

Une peur qui se dissipe.

La colère qui s’apaise.

La santé,

non seulement du corps et de l’esprit,

mais aussi de l’âme, du cœur,

qui revient.

La générosité,

la bienveillance,

qui nous semblent d’un coup

aussi naturelles que l’air que l’on respire.

Nos yeux qui s’ouvrent

et qui nous font voir partout

des frères et des sœurs,

des prochains.

Avec cette bonté de Dieu

qui baigne toute chose.

 

N’avons-nous pas été ressuscités,

ne sommes-nous pas ressuscités chaque jour ?

Libérés de cette mort de l’âme

que sont la routine, la tristesse, la dureté du cœur ?

 

Ne sommes-nous pas purifiés chaque jour

de cette lèpre,

de cet éclatement

qui fait que notre vie se désagrège,

qu’elle part en lambeaux

qui ne tiennent plus ensemble,

qui ne sont plus irrigués par la vie ?

 

Ne sommes-nous pas exorcisés chaque jour,

débarrassés de ces démons du doute,

du calcul,

de la mesquinerie,

qui tiennent nos cœurs prisonniers ?

 

Oui, l’œuvre de Dieu,

l’action de Dieu,

la bonté de Dieu,

c’est en nous,

aujourd’hui,

chaque jour.

 

Chaque jour

nous recevons gratuitement.

Chaque jour

nous sommes portés par une main bienveillante.

Chaque jour

nous sommes guéris et transformés

par un Esprit

incroyablement proche

et qui vient de loin.

 

Il est bon d’en prendre conscience

et d’en rendre grâces.

Non, les bontés de Dieu ne sont pas finies.

Elles sont neuves chaque matin.

 

Oui,

nous recevons gratuitement

et c’est pourquoi nous pouvons donner gratuitement.

 

Non pas un défi à relever.

Non pas une obligation qui nous est imposée.

Juste le cœur qui déborde.

Parce que Quelqu’un le remplit

et ne cessera jamais de le faire.

 

Amen