Vos lieux de culte Église 29

Et voici que, ce même jour,

deux d’entre eux se rendaient à un village du nom d’Emmaüs,

à deux heures de marche de Jérusalem.

Ils parlaient entre eux de tous ces événements.

Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble,

Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ;

mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

Il leur dit :

« Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? »

Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.

L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit :

« Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » –

« Quoi donc ? » leur dit-il.

Ils lui répondirent :

« Ce qui concerne Jésus de Nazareth,

qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple :

comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ;

et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël.

Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.

Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés :

s’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé son corps,

elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.

Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau,

et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ;

mais lui, ils ne l’ont pas vu. »

Et lui leur dit :

« Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes !

Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? »

Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.

Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin.

Ils le pressèrent en disant :

« Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. »

Et il entra pour rester avec eux.

Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain,

prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.

Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent,

puis il leur devint invisible.

Et ils se dirent l’un à l’autre :

« Notre cœur ne brûlait-il pas en nous

tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? »

A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem ;

ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui leur dirent :

« C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. »

Et eux racontèrent ce qui s’était passé sur la route

et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

 

Évangile selon Luc, chapitre 24, versets 13 à 35

 

« Ô gens sans intelligence

et d’un cœur lent à croire

tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! »

 

Frères et sœurs,

ces paroles ne s’adressent pas

qu’à Cléopas et à son compagnon.

 

La Bible n’est pas un spectacle,

une action à laquelle nous serions

complètement extérieurs,

comme lorsque nous assistons à un film

au cinéma.

 

C’est tout le contraire.

Quand nous lisons la Bible,

une scène vient nous rejoindre,

nous happer.

Et nous nous retrouvons pris

dans une situation inédite

qui nous révèle quelque chose

sur nous-mêmes.

 

Aujourd’hui,

nous voici donc,

non pas juste sur les bancs du Temple de Fontenay,

mais sur le chemin d’Emmaüs.

Un village familier

où l’on espère trouver du repos,

se mettre hors de portée du chaos,

de cet ébranlement absolu

qui a tout mis à bas dans notre vie.

 

Dans notre tête,

il y a bien des questions,

parfois depuis des décennies.

Mais que veut dire cette mort sur la croix ?

Pourquoi tout ce sang, toute cette violence,

tous ces cris, toutes ces larmes ?

Cela ne pouvait-il vraiment pas se faire autrement ?

Le Sauveur réduit à l’impuissance.

Le Sauveur qui n’est plus qu’une loque sanglante,

avant de n’être qu’un corps sans vie.

 

Dans notre cœur aussi,

il y a beaucoup de confusion :

pourquoi Dieu ne s’impose-t-il pas

tout simplement aux hommes ?

Il ferait briller Sa gloire

et tout le monde se mettrait au garde-à-vous.

Et il n’y aurait plus de guerres.

Et tout le monde serait heureux.

 

Ou bien est-ce nous qui nous faisons des idées,

et en réalité, il n’y a pas de Dieu.

Cela expliquerait tout.

 

Qui dirait

que la foi est quelque chose

de limpide pour lui ?

Qui dirait

face à la souffrance et la mort

que la résurrection est une évidence ?

 

 

« Ô gens sans intelligence

et d’un cœur lent à croire

tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! »

 

L’intelligence !

 

Mais de quoi est-il question ?

 

Il y a l’intelligence du bon élève

qui répète mot pour mot

ce qui est écrit dans le livre.

Mais il y a aussi l’intelligence

de cet autre élève

qui n’ouvre jamais un livre,

mais qui n’a aucune peine

à retrouver les raisonnements

qu’on attend de lui.

Il y a l’intelligence de l’ami

qui sait quand se taire

et quand parler.

Il y a l’intelligence de l’artisan

qui fait le geste parfait

sans avoir besoin de réfléchir.

 

Alors de quelle intelligence

Jésus parle-t-il ?

Quelle est cette intelligence

qui nous fait défaut ?

 

Le cérébral est une chose.

Comprendre un raisonnement.

Trouver des explications.

 

Mais il y a un niveau plus profond

où la théorie doit laisser place à la vie.

Quelque chose est là qui s’impose à nous,

qui nous touche.

Ce n’est plus une idée

qu’il faut s’efforcer de saisir.

Il y a une réalité qui nous saisit,

qui nous empoigne,

qui ne nous lâche plus.

 

L’intelligence, la vraie,

c’est de savoir vivre cela.

Une disponibilité.

Une réceptivité

qui fait de nous le prolongement

de quelque chose de plus grand,

de quelque chose qui nous dépasse.

 

La résurrection du Christ,

non pas comme un schéma sur un papier,

mais comme une main

qui nous arrache à la mort

et qui nous entraîne loin,

très loin,

dans l’infini de l’éternité de Dieu.

 

C’est le baptême qui fait comprendre cela.

Pas les cours de théologie.

 

L’intelligence du croyant

n’est pas affaire d’interprétation,

d’explication.

C’est ailleurs qu’elle est sollicitée.

Dans une rencontre,

qui peut être un simple effleurement du Saint-Esprit,

ou bien quelque chose de plus tangible, de plus concret

comme pour Cléopas et son ami.

 

« Ô gens sans intelligence

et d’un cœur lent à croire

tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! »

 

Un cœur lent à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes !

 

Pour Jésus,

il semble bon qu’un cœur s’embrase,

qu’il se laisse enflammer

par une parole pressante

qui a traversé les siècles.

 

On aimerait lui dire

que c’est justement de cela

que se nourrissent

les fanatismes en tous genre.

Un peu de prudence

ne fait pas de mal.

Il est si facile de se laisser aveugler.

 

Seulement,

ce n’est pas parce que l’on est méfiant

que l’on n’est pas aveugle !

Le cœur de pierre,

le cœur dur,

le cœur sec,

ne s’embrase pas facilement.

Mais il n’en est pas pour autant dans le vrai.

 

Il y a un refus de croire,

un refus de s’ouvrir à ce qui nous dépasse

qui se présente volontiers

comme la plus haute des sagesses.

 

Mais n’y a-t-il pas là surtout de la frilosité ?

De la tiédeur ?

Dieu comme un horloger scrupuleux,

et le monde comme une belle mécanique

qui ne dévie jamais de sa course.

 

La Bible, elle, nous présente un Dieu surprenant,

un Dieu vivant.

Un aventurier qui aime à tracer des chemins inédits.

Et les prophètes ont payé cher

de rappeler cette audace,

qui nous invite à être nous aussi audacieux

plutôt que soupçonneux.

 

« Ô gens sans intelligence

et d’un cœur lent à croire

tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! »

 

À Pâques,

les journaux aiment bien faire

des pages spéciales sur la résurrection.

Une approche qui se veut scientifique.

Est-ce possible ou non ?

Que s’est-il réellement passé ?

 

Jésus, lui, dit que la résurrection,

c’est avant tout l’affaire de notre intelligence

et de notre cœur.

N’attendez donc pas de preuve décisive

qui emporterait l’adhésion.

Il faut se lancer.

Il faut se mouiller.

Il faut surtout savoir s’enflammer,

se laisser saisir.

 

Impossible de n’être que spectateur.

Il faut se mettre en marche.

Les deux hommes sur le chemin d’Emmaüs

avançait peut-être dans la mauvaise direction,

mais au moins étaient-ils en route.

Rien de pire à Pâques

que de rester planté à l’écart, les bras croisés,

attendant de voir ce qui va se passer.

 

« Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous,

lorsqu’il nous parlait en chemin

et nous expliquait les Écritures ? »

 

Le cœur qui brûle.

Et l’on ne s’en rend pas compte,

tellement l’on est pris

par ce qui fait brûler le cœur :

ces Écritures qui ne font pas toucher quelque chose du doigt,

mais qui font que l’on est touché par un doigt.

Par une réalité qui nous dépasse.

Par une vie qui nous absorbe.

Par Dieu toujours surprenant,

toujours différent de comme nous l’imaginons.

 

Le cœur des deux hommes était

lent à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes.

Et le voici qui brûle en recevant

cette Parole vivante qui jaillit de la Bible.

Quelque chose d’étonnant s’est passé.

Un changement complet.

Une conversion.

 

Le miracle d’Emmaüs,

ce n’est pas l’apparition du Christ ressuscité

à deux hommes partis de Jérusalem.

Le miracle d’Emmaüs,

ce sont deux hommes dont le cœur a été touché

par une vie qu’ils ne soupçonnaient pas,

qu’ils n’osaient pas imaginer.

 

Je possède un livre de récits bibliques

racontés pour les enfants.

Et là, sur le chemin d’Emmaüs,

il n’y a jamais que deux hommes.

Aucun voyageur ne les rejoint.

Tout se joue dans leur esprit et dans leur cœur.

 

Le miracle en serait-il moins grand ?

Je ne le pense pas.

L’important, c’est qu’une fois arrivés à leur but,

le village d’Emmaüs,

les deux hommes se sont dépêchés

de retourner d’où ils venaient, à Jérusalem,

pour annoncer aux apôtres

qu’ils avaient rencontré le Christ vivant,

et que tout avait changé pour eux.

 

Emmaüs, c’est cette rencontre peu après la croix.

 

Mais, Emmaüs, c’est surtout aujourd’hui,

pour autant que notre cœur sache s’enflammer.

Pour autant que nous soyons suffisamment intelligents,

pour ne pas nous perdre dans les raisonnements,

et laisser la Vérité, la Vie, nous empoigner

et ne plus jamais nous lâcher.

 

Amen