Alors les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, avec les Hérodiens, pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens. Dis-nous donc ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? »
Mais Jésus, s’apercevant de leur malice, dit : « Hypocrites ! Pourquoi me tendez-vous un piège ? Montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut. » Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » A ces mots, ils furent tout étonnés et, le laissant, ils s’en allèrent.
Évangile selon Matthieu, chapitre 22, versets 15 à 22
Aujourd’hui est un dimanche des élections, des élections importantes. Nous allons élire nos représentants au Conseil national et au Conseil des États pour les 4 prochaines années. Et voilà que la politique s’invite également dans les lectures de ce jour, avec cette question posée à Jésus : « Faut-il payer les impôts à l’empereur ? » À première vue, cette question peut sembler absurde. Si aujourd’hui, vous demandiez aux députés suisses des différents partis « Faut-il payer les impôts ? », je pense que, pour une fois, ils seraient tous d’accord et répondraient « oui, c’est évident ». On ne va pas faire la liste de tout ce qui est payé grâce à nos impôts, elle serait trop longue. Une chose est sûre : sans les impôts, tout le pays se retrouverait paralysé. Mais la question des pharisiens est moins stupide qu’elle n’en a l’air. Imaginez un instant que la Suisse en tant que telle n’existe plus. La Suisse romande a été annexée par la France, les cantons suisse-allemands par l’Allemagne et le Tessin par l’Italie p.ex. La France va peut-être laisser aux Suisse-Romands certaines libertés, p.ex. continuer à dire 70, huitante et nonante. Mais, tout le monde le sait, maintenir de l’ordre dans un empire, ça a un prix. Conséquence : en plus de tous les impôts et taxes que nous payons déjà, nous devrons désormais payer un impôt supplémentaire à la France. Si, dans ce contexte-là, vous demandez aux gens : « Faut-il payer l’impôt au président français ? », pas sûr qu’ils répondront tous par l’affirmative…
Dans la Palestine du temps de Jésus, la charge des impôts prélevés par l’occupant romain est écrasante, les gens sont sous pression. Et cela crée beaucoup de ressentiment à l’encontre des Romains et de leurs collaborateurs, les collecteurs d’impôts. Quel meilleur moyen de piéger Jésus que de lui poser la question : « Est-il permis ou non de payer l’impôt à l’empereur ? » Si Jésus répond « oui », il se discrédite auprès de tous ceux qui voient en lui le Messie politique tant attendu. Celui qui va enfin les débarrasser de l’occupation romaine. S’il répond « non », ses opposants pourront le dénoncer aux autorités comme agitateur politique. Mais comme d’habitude, Jésus ne se laisse pas piéger par ce genre de manigance. Il commence par répondre à la question piège par une autre question : « De qui sont l’image et l’inscription de la pièce d’argent destinée à l’impôt ? » Et quand les pharisiens répondent « de César », Jésus les réduit au silence par cette déclaration célèbre : « Rendez à César ce qui est à César, et rendez à Dieu ce qui est à Dieu. » Jésus refuse de diaboliser le pouvoir civil. Même dans un pays occupé, les autorités civiles ont leur utilité. Elles maintiennent la paix et l’ordre, construisent des routes, des infrastructures et des bâtiments qui profitent à tout le monde. Et tout cela ne peut se faire sans l’argent des impôts. Rendez donc à César ce qui lui appartient. Mais l’essentiel est ailleurs. L’essentiel est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Et Jésus s’arrête là, comme si c’était clair. Mais est-ce vraiment clair ? Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire, rendre à Dieu ce qui est à Dieu ?
Quelle est la différence entre l’empereur et Dieu ? L’une des principales différences, c’est que l’empereur a vraiment besoin qu’on lui paie les impôts. Sans les impôts, son empire ne peut fonctionner. Quant à Dieu, a-t-il besoin qu’on lui paie quelque chose ? Peut-on lui donner quelque chose qui ne lui appartienne pas déjà, à lui, le Créateur de l’Univers ? C.S. Lewis le résume bien, je trouve : « L’amour originel par lequel Dieu crée l’univers est un amour donneur. Dieu n’a besoin de rien, Dieu n’a pas de faim à assouvir, en lui il n’y a que plénitude qui désire donner. » Donc, pour continuer, j’aimerais partir du postulat suivant : Dieu n’a pas besoin qu’on lui donne quelque chose. Et paradoxalement, je vais commencer par l’exception qui confirme la règle, parce qu’il y a une exception de taille. Il y a un cas de figure où l’être humain peut vraiment donner à Dieu quelque chose dont il a besoin. Car nous croyons en un Dieu qui s’est fait homme en Jésus Christ. Et celui-ci nous a laissé ce témoignage touchant : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais nu et vous m’avez habillé, j’étais malade et vous m’avez visité. Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » De cette manière, en aidant une personne dans le besoin, on peut donner à Dieu en personne, sans forcément s’en rendre compte d’ailleurs. Comme le Roi Cyrus, …, à qui Dieu dit : « Je t’ai pris à mon service, alors que tu ne me connais pas. »
Mais j’aimerais maintenant revenir à notre postulat « Dieu n’a pas besoin qu’on lui donne quelque chose. » Car cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien lui donner. Tout dépend de la manière dont on pose la question. Si on pose la question de manière suivante : Pouvons-nous donner à Dieu quelque chose dont il aurait besoin ? La réponse sera : non, nous ne pouvons rien lui donner. Mais si nous posons la question ainsi : pouvons-nous rendre à Dieu un peu de ce qu’il nous a donné en premier ? la réponse sera : oui, nous pouvons tout lui donner. C.S. Lewis : « Il est évident que, si nous pouvons refuser à Dieu notre volonté, notre cœur ou nous-mêmes, nous pouvons donc aussi les lui donner. Il nous a donné comme un bien propre ce qui lui revient de droit, qui n’existerait pas sans lui, et il l’a fait de telle manière que nous puissions le lui offrir en toute liberté. » Et si on revient aux paroles de Jésus, voilà une autre différence importante entre l’empereur et Dieu : les gens sont obligés de rendre à César l’argent gravé à son image, ils sont obligés de payer les impôts (ça n’a pas changé). Alors que Dieu nous laisse la liberté de lui rendre ou pas ce qui lui appartient, c’est-à-dire nous-mêmes, qui avons été créés à son image. Nous sommes libres de lui faire cadeau de notre vie, de lui offrir notre volonté et notre amour, Dieu ne va jamais nous y obliger. Mais ça vaut vraiment la peine de lui faire ce cadeau, car chaque fois que l’on arrive à lui donner quelque chose, Dieu nous le redonne, multiplié par cent, il est comme ça…
Et j’aimerais faire un bout de chemin avec Thérèse d’Avila…Il faut reconnaître qu’offrir sa vie, sa volonté et son amour à Dieu, ça nous coûte quelque chose. Et à chaque instant, nous avons besoin de l’aide de son Saint-Esprit. Pour commencer, ça nous coûte du temps, mais ce temps passé avec Dieu n’est jamais une perte de temps, au contraire. Thérèse nous donne ce conseil étonnamment moderne : « Les brefs instants que nous nous décidons à lui accorder sur le temps que nous gaspillons, donnons-les-lui d’un esprit libre et dégagé de tout le reste. Et Dieu nous donne plus que nous ne demandons et que nous n’osons désirer. » Donner sa vie à Dieu, ça coûte aussi beaucoup d’énergie. Car pour se laisser remplir par ses dons, il faut d’abord faire un peu de ménage en soi-même. Thérèse : « Si nous emplissons notre âme de camelote, comment le Seigneur y tiendrait-il avec sa cour ? C’est déjà beaucoup qu’il consente à passer quelques instants dans cet encombrement.» Donner sa volonté à Dieu, c’est peut-être ce qui nous coûte le plus, et ça peut faire très mal. Et je doute qu’on puisse y arriver à 100%. Aux gens comme nous, Thérèse donne ce conseil réaliste : « Ceux qui vivent dans le monde feront déjà beaucoup s’ils ont l’intention sincère de tenir leur promesse. » Et pourtant, même si nous n’y arrivons pas à 100%, si de temps en temps nous donnons notre volonté à Dieu, c’est là qu’il peut le mieux agir à travers nous. Enfin, offrir son amour à Dieu, cela peut sembler facile. Mais pour certaines personnes, qui ne se trouvent que des défauts, il est très difficile de croire que Dieu puisse les aimer. Comment lui rendre un amour auquel on ne croit pas vraiment ? Prions pour que ces personnes découvrent que Dieu ne nous aime pas parce que nous sommes aimables, mais parce que nous sommes ses enfants, et que rien ne peut nous séparer de son amour, comme le dit l’apôtre Paul dans la letr. aux Rom. Si nous offrons à Dieu notre affection, notre amitié et notre amour imparfaits, il nous les redonne parfaits, transformés par son Esprit, pleins de sa chaleur et de sa lumière. Et j’aimerais terminer par ces paroles de Thérèse d’Avila : « Si le Seigneur voit que vous l’appelez avec amour, et que vous ne vivez que pour le satisfaire, vous n’arriverez pas, comme on dit, à vous en débarrasser. Jamais il ne vous manquera, il vous aidera dans tous vos travaux, il sera partout avec vous. Pensez-vous que ce soit peu de chose qu’un tel ami à nos côtés ? » Amen