Vos lieux de culte

Jésus leur dit:

Venez à l’écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu.

Car il y avait beaucoup d’allants et de venants,

et ils n’avaient même pas le temps de manger.

Ils partirent donc dans une barque, pour aller à l’écart dans un lieu désert.

Beaucoup de gens les virent s’en aller et les reconnurent,

et de toutes les villes on accourut à pied

et on les devança au lieu où ils se rendaient.

Quand il sortit de la barque, Jésus vit une grande foule

 et fut ému de compassion pour eux,

parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont point de berger;

et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.

Évangile selon Marc, chapitre 6, versets 30 à 34

 

« Ils étaient comme des brebis qui n’ont point de berger. »

 

Frères et sœurs,

cette image nous parle.

Nous imaginons des gens désemparés,

effrayés,

perdus,

ne sachant pas où aller.

Ils aspirent à être guidés,

mais ils ne trouvent personne

pour le faire.

Juste des mercenaires

qui profiteront de leur faiblesse

et qui les lâcheront à la première difficulté.

 

Mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ?

Jésus voit une détresse.

Seulement,

les gens sont-ils eux-mêmes conscients

de cette détresse

dans laquelle ils se trouvent ?

Je n’en suis pas sûr.

 

Quand des brebis n’ont pas de berger,

elles n’y voient pas un problème.

Elles ne se disent pas :

« Quelle horreur :

nous n’avons pas de berger ! »

Au contraire,

elles sont persuadées que tout va bien.

Qu’elles peuvent s’en tirer toutes seules.

Qu’elles n’ont besoin de personne.

Elles ne voient pas leur fragilité.

Elles ne voient pas leur confusion.

Elles sont sûres de tout maîtriser.

 

On imagine les brebis sans berger

hésitantes et timorées.

Mais ce n’est pas le cas.

Les brebis sans berger

débordent de de certitudes.

 

Ces foules qui cherchaient Jésus

savaient très bien

ce qu’il devait leur apporter.

Elles voulaient des miracles,

des guérisons.

Et aussi des polémiques,

des attaques contre les pouvoirs en place.

 

C’était le plus dur pour Jésus :

constater une détresse réelle,

et en même temps un aveuglement sur cette détresse.

Une incapacité à recevoir l’aide

qui soulagerait cette détresse.

 

Nous ressemblons beaucoup à ces foules.

Du désarroi qui s’exprime,

non pas par des interrogations hésitantes,

mais par des affirmations définitives,

des certitudes inflexibles

qui ne laissent pas de place

pour la discussion,

pour une évolution.

 

Tout noir ou tout blanc.

Et rien entre deux.

Les bons sont parfaitement bons.

Les méchants parfaitement méchants.

Les choix sont clairs et nets :

d’un côté l’égoïsme, de l’autre la générosité.

Martin Luther King ou Hitler.

 

Pas de mesure.

Pas de retenue.

Pas de prudence.

Des déclarations à l’emporte-pièce.

Des slogans que l’on martèle.

Trump est le diable.

Ou Trump est le Messie.

 

Et si vous n’êtes pas d’accord,

si vous avez des réserves,

les noms d’oiseau sortent tout de suite.

Ça peut être incroyablement agressif,

une brebis qui n’a pas de berger !

 

C’est qu’elle ne veut surtout pas

voir sa nudité.

Elle ne veut pas voir

qu’elle est une brebis sans berger.

Elle mangera n’importe quoi,

même du plastique,

juste pour se prouver

qu’elle arrive à trouver sa nourriture toute seule.

 

Nous brandissons ainsi nos smartphones.

Einstein et Léonard de Vinci n’avaient pas

de telles possibilités :

tout le savoir humain à portée de main.

Seulement, une tête bien pleine

n’est pas forcément une tête bien faite.

Et nos connaissances ressemblent toujours plus

à un gigantesque marché aux puces

où l’on trouve absolument tout,

pour autant qu’on ait le temps de chercher.

Rien à voir avec l’harmonie d’une église romane.

 

Beaucoup de données

qui ne font pas forcément sens.

Surfer sur les dernières informations,

cela occupe le temps et l’esprit.

Mais au bout du compte,

il n’en reste rien.

La bouillie des médias

ou de Wikipedia

n’aide pas à grandir,

malgré les heures que l’on y consacre.

Eh oui,

c’est aveugle,

c’est frénétique,

une brebis sans berger !

 

Certains verront dans ce constat

de la malveillance.

Pourquoi regarder les lacunes, les faiblesses,

en omettant le positif ?

Ne faisons-nous pas de notre mieux

avec les meilleures intentions du monde ?

 

Cette crispation dès que l’on soulève des problèmes

est, elle aussi, une marque de la détresse

de la brebis sans berger.

Une brebis si peu sûre d’elle-même

qu’elle se sent obligée de donner le change,

d’afficher en permanence

une assurance que rien ne peut ébranler.

 

On peut bien sûr vivre dans les faux-semblants,

se raconter des histoires, 

entretenir l’illusion.

Mais, si l’on veut avancer, réellement,

alors il faut réapprendre à dire :

« Je ne sais pas ».

« Je ne sais pas si c’est juste ».

« Je ne sais pas si c’est bien ».

« J’ai essayé. On verra ».

Reconnaître que, souvent, nous tâtonnons.

Reconnaître que nous n’avons pas forcément raison.

 

Ce n’est pas facile.

Ce n’est pas confortable.

Alors, plutôt que cette hésitation, cette incertitude,

pourquoi ne pas s’en remettre à une voix forte

qui ne connaît pas les doutes :

un Füher,

un Duce,

un Caudillo,

un Petit Père des peuples.

 

Le vrai berger est différent.

Il ne fait pas croire aux brebis

qu’elles sont fortes.

Il leur demande

de s’en remettre à lui.

Reconnaître leur faiblesse, leur fragilité.

Ne pas chercher à les cacher

derrière une armure de certitudes.

Il offre aux brebis sa présence, sa force

qui leur permettra d’habiter avec confiance

le monde et sa complexité.

 

Le bon berger n’apporte pas des réponses :

une doctrine, un modèle, un schéma,

des explications toutes prêtes,

des recettes à appliquer.

Le bon berger apporte son engagement et sa fidélité.

Il ouvre le chemin.

Il guide vers ce qui est bon,

vers ce qui nourrit.

Il permet le renouveau et le repos.

Il permet à la brebis d’être une brebis.

De ne pas jouer à ce qu’elle n’est pas.

De ne pas se faire plus importante ou plus clairvoyante

qu’elle ne l’est réellement.

 

Notre rôle de chrétiens est

de nous en remettre au bon berger

Le suivre dans la confiance.

Rien de plus.

 

Et ce n’est pas facile.

Il est si tentant de sortir de ce rôle ingrat de brebis.

Dicter au bon berger ce qu’il doit faire.

Ou l’utiliser pour nous mettre en valeur.

Pour imposer nos vues,

comme ces enfants qui disent :

« Mon papa est policier… ! »

 

Oui, il est tentant de se vouloir porte-parole,

représentant du bon berger.

Tout sauf être une brebis.

Mais on ne peut pas changer

ce que l’on est.

Et, en fin de compte,

on devient juste une brebis sans berger.

 

Les foules de Galilée

ont certainement écouté avec attention

ce que Jésus leur a dit

après avoir constaté qu’elles étaient

comme des brebis sans berger.

Seulement, qu’ont-elles reçu de ces paroles ?

Jusqu’où ont-elles accepté

de se laisser guider par lui ?

 

Il y a bien des façons d’esquiver sa vocation de brebis.

Certains ont passé la nuit

à débattre de ce qu’ils avaient entendu.

D’autres ont cherché des illustrations,

des arguments supplémentaires.

D’autres encore sont tout de suite

allés dans des villages

transmettre la Bonne Parole.

Combien ont simplement écouté

et suivi ce que disait Jésus ?

Nous ne le savons pas.

Mais ce n’était assurément qu’un petit nombre.

Rappelez-vous combien sont restés au Golgotha.

 

Eh oui, pour accepter

d’être des brebis avec un berger,

il faut commencer par accepter

d’être des brebis.

Et ce n’est pas donné à tout le monde.

Puisse le Christ ouvrir nos yeux

et notre cœur.

 

Amen