« Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le combat. Je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère ; on aura pour ennemis les membres de sa propre famille. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui ne se charge pas de sa croix pour marcher à ma suite n’est pas digne de moi. Celui qui voudra garder sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la retrouvera. »
(Évangile selon Matthieu 10, 34-49)
J’aimerais commencer par une question : Avez-vous aimé le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre ? Si vous l’avez beaucoup aimé, levez un doigt. Je pense que si on faisait un sondage dans l’Église en posant la question : « Quel est votre passage biblique préféré ? » le texte d’aujourd’hui ne récolterait pas beaucoup de voix. Dans les Évangiles, Il y a des paroles de Jésus qui nous font du bien, qui nous consolent, qui nous caressent, comme : « laissez venir à moi les petits enfants », « je suis le bon berger », « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai le repos ». Entendre ces paroles, c’est un peu comme manger de délicieux chocolats préparés par le meilleur maître chocolatier. Il y a aussi des paroles de Jésus que nous trouvons peut-être sévères, mais en même temps très justes, tout en sachant que nous n’arrivons que rarement à les mettre en pratique : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés », « aimez vos ennemis », « vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » Entendre ces paroles, c’est un peu comme manger ses 5 fruits et légumes par jour. Même quand on n’est pas trop fan de légumes, on fait l’effort, parce que l’on sait que c’est bon pour notre santé. Et finalement, il y a des paroles de Jésus qu’on trouve tellement pénibles qu’on préfèrerait qu’il ne les ait jamais prononcés. À force de les lire et entendre, on finit par s’y habituer, mais de là à les aimer… : « Si donc ton œil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette -le loin de toi », « Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors, dans le noir, là où on pleure et grince des dents », « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le combat. Celui qui aime son père, sa mère, ses enfants plus que moi n'est pas digne de moi. »etc. À quoi comparer ces paroles ? Peut-être à cette huile de foie de morue qu’on nous faisait boire quand on était petits et qui avait un goût horrible ? Ou à une piqûre qui fait un peu mal sur le moment, mais qui nous protège d’une maladie ? Vous devinez déjà où je veux en venir. Je pense que nous avons besoin de toutes ces paroles. De celles qui nous bercent, comme de celles qui nous bousculent. Souvent, nous voulons être consolés, rassurés, il n’y a pas de mal à ça. Mais parfois, nous avons aussi besoin d’être secoués, nous avons besoin d’une piqûre de rappel, d’un avertissement.
J’aimerais qu’on se penche maintenant de plus près sur les paroles à priori choquantes de Jésus, pour voir si elles peuvent malgré tout nous apporter quelque chose de positif. Voyons d’abord le contexte. Le discours de Jésus fait partie d’une longue série d’avertissements adressées à ses disciples au moment où ils s’apprêtent à partir en mission, deux par deux, pour prêcher et guérir les malades. Jésus met ses amis en garde : leur mission sera tout sauf facile. « Je vous envoie comme des moutons au milieu des loups. » « Tout le monde vous haïra à cause de moi. » En résumé, le danger peut venir de partout, y compris de sa propre famille. D’ailleurs, Jésus lui-même n’a pas toujours été compris par ses proches. Souvenez-vous de cet épisode rapporté par l’évangéliste Marc : au début de son ministère, une foule de personnes se rassemble autour de Jésus. À ce moment-là, les membres de sa famille arrivent pour se saisir de lui car ils croient qu’il a perdu la tête. Et c’est à Nazareth, où Jésus avait grandi, que ses amis et voisins essaient de le tuer au début de son ministère. Est-ce pour autant que Jésus nous demande de ne pas aimer notre famille quand il assène : « celui qui aime son père, sa mère, ses enfants plus que moi n'est pas digne de moi. » ? Je ne crois pas. Après tout, selon Jésus, l’un des deux plus grands commandements est « aime ton prochain comme toi-même. » Et notre famille fait certainement partie de nos prochains. L’accent est ailleurs. Les deux textes d’aujourd’hui parlent d’une rupture. Quand on devient disciple du Christ, il y a inévitablement un avant et un après. « Vous êtes morts au péché pour vivre d’une vie nouvelle », dit l’apôtre Paul dans sa lettre. « Vous devez tout quitter pour me suivre, y compris votre famille, s’il le faut », dit en résumé Jésus. Suivre Jésus, c’est une chance extraordinaire, mais en même temps, ça coûte. Parfois ça coûte même très cher. Prenons les disciples : Simon, qui est marié, doit quitter pour un temps sa femme. Jean et Jacques quittent leur père. Matthieu quitte son emploi bien payé de collecteur d’impôts. Simon le zélote doit quitter son rêve d’un messie guerrier qui va gagner la guerre contre les Romains. Et les femmes qui suivent Jésus ? Marie de Magdala et les autres ? Sans doute, elles doivent renoncer à leur bonne réputation. À l’époque, une femme ne peut pas être disciple, elle reste à la maison… Voyager avec un groupe d’hommes, c’est proprement scandaleux. (témoignage personnel ?)
Quand les disciples, et nous en faisons partie, commencent une vie nouvelle, ils s’aperçoivent tôt ou tard que suivre Jésus est rarement une marche triomphante. Et ce n’est pas toujours une promenade dans un verger fleuri non plus. Suivre Jésus, c’est essayer de vivre comme il a vécu, et du coup aussi prendre sa croix pour marcher à sa suite. Parce que la croix n’est pas annulée par la résurrection. Parce que la croix et Pâques sont liés, et on ne peut pas les séparer. Et c’est parce que Jésus a vécu comme notre serviteur, qu’il a pris sur lui tous nos péchés, souffert sur la croix et est mort pour nous, qu’il a le droit de dire « Celui qui ne se charge pas de sa croix pour marcher à ma suite n’est pas digne de moi. Celui qui voudra garder sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.» En entendant cette déclaration de Jésus, certains pourraient croire que les chrétiens sont forcément des gens tristes, qui souffrent en silence, les dents serrées, leur seule consolation étant la vie après la mort, où ils seront enfin heureux. Mais paradoxalement, porter sa croix à la suite de Jésus peut être un chemin de libération et de bonheur. Pour s’engager sur ce chemin, Jésus veut d’abord nous libérer de toutes ces peurs et ces angoisses qui nous paralysent : peur de se tromper, peur du regard des autres, peur de souffrir, peur de mourir… Et celui qui perd sa vie à cause de Jésus, celui qui s’oublie soi-même peut marcher, libéré, à sa suite, marcher dans ses traces, sur un chemin rempli d’amour, de compassion, de service, du don de soi. Certes, les difficultés et la souffrance font partie de ce chemin, mais le bonheur aussi. Le théologien Jean Zumstein le résume bien : « Le bonheur offert par Jésus ne commence pas quand le malheur cesse, quand les crises sont éliminées, quand les difficultés de l’existence sont dépassées. Tout au contraire, c’est au sein des difficultés, c’est au sein des tensions, c’est au sein de l’existence parfois chahutée que Dieu vient pour faire sa place.
Quelle est l’explication de ce phénomène, quel est le secret de cette joie, de ce bonheur, possibles malgré la souffrance ? C’est un sujet toujours actuel et beaucoup de livres en parlent, et je n’arrête pas de tomber dessus dans mes lectures ces derniers temps. Ce qui est frappant, c’est que la plupart des auteurs finissent par arriver à la même conclusion, qu’ils soient catholiques, protestants, théologiens, écrivains ou journalistes. Celui qui le résume le mieux, je trouve, c’est l’écrivain et journaliste tchèque Ales Palan. Il a mené des entretiens avec beaucoup de personnes en fin de vie aux soins palliatifs, et aussi avec toutes sortes de personnes vivant en marge de la société. Des gens qui connaissent bien la souffrance. De ces entretiens, il tire la conclusion suivante : « Il semble exister un remède universel contre la tristesse, la douleur et la souffrance : c’est la reconnaissance. » Ça a presque l’air trop simple, mais voilà : pour rester heureux malgré l’adversité, il faut savoir dire merci. Et je dois dire par expérience que ça marche assez bien. J’ai remarqué que, quand je broie du noir, il suffit de remercier Dieu pour cette journée, et je me sens tout de suite mieux. Alors pour terminer, j’aimerais dire merci à Jésus de ne pas avoir été obligée de choisir entre ma famille et lui. J’aimerais dire merci pour son amour inconditionnel pour chacun d’entre nous. Merci pour le salut qui nous est donné, sans aucun mérite de notre part. Merci, Jésus, de nous libérer de nos peurs. Merci de nous aider à porter notre croix. Et merci pour Tes paroles qui nous encouragent, nous éclairent et nous guident. Amen