« Que vous semble-t-il de ceci ?
Un homme avait deux fils.
Il s’adressa au premier et lui dit :
« Mon fils, va aujourd’hui travailler à la vigne. »
Le fils répondit : « Oui, Seigneur ! »
Et il n’y alla point.
Puis le père vint à l’autre,
et il lui dit la même chose.
Celui-ci répondit : « Je ne veux pas ! »
Mais plus tard, s’étant repenti, il y alla.
Lequel des deux a fait la volonté du père ? »
Ils lui dirent : « C’est le second. »
Jésus reprit :
« En vérité, je vous le déclare,
les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent dans le Royaume de Dieu !
Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice,
et vous ne l’avez point cru ;
mais les péagers et les femmes de mauvaise vie l’ont cru.
Et vous, qui avez vu cela,
vous ne vous êtes pas finalement repentis
et vous n’avez pas cru. »
Évangile selon Matthieu, chapitre 21, versets 28 à 32
« Vous ne l’avez point cru,
mais les péagers et les femmes de mauvaise vie
l’ont cru. »
Frères et sœurs,
que pensez-vous ?
Quand un homme
qui est vêtu de poils de chameau
et qui sent le fauve
parle,
faut-il l’écouter ?
Nous avons tous nos préjugés.
Et les victimes d’escrocs
se lamentent souvent :
« Il présentait tellement bien !
On lui aurait donné le bon Dieu
sans confession ! »
Evidemment,
ce n’est pas à vous que je vais le dire :
les apparences sont souvent trompeuses.
Ce n’est pas l’allure de Jean-Baptiste
qui convainc les péagers
et les femmes de mauvaise vie.
C’est autre chose :
sa parole qui trouve
un écho en eux.
Et c’est de cela
dont il est question
dans la parabole de Jésus :
l’écho
qu’une parole trouve en nous.
Le premier fils
ne se sent pas vraiment
concerné
par la demande de son père.
Il dit : « Oui ! »
Parce que c’est la meilleure des méthodes
pour que les autres vous fichent la paix.
Essayez,
vous verrez :
c’est très efficace !
On dit juste : « Oui ! »
Et la personne est contente
et elle va s’occuper
de quelqu’un d’autre.
Le deuxième fils, lui,
commence par dire : « Non ! »
Peut-être a-t-il été pris à froid.
Peut-être avait-il déjà un programme
qui risquait d’être bouleversé.
On ne sait pas.
Par contre,
ce que l’on sait,
c’est que la parole de son père
a continué de résonner en lui.
Elle ne l’a pas laissé tranquille.
Ou pour le dire autrement,
il ne s’en est pas senti quitte
avec son premier refus.
Et c’est pourquoi
il est finalement
allé à la vigne.
La parabole le montre bien :
l’important,
ce n’est pas juste l’émetteur.
La même demande
peut susciter
deux réactions bien différentes.
Et il en va de même
avec l’appel lancé
par Jean-Baptiste.
Les chefs des prêtres
et les anciens ne l’ont pas reçu.
Alors que les péagers
et les femmes de mauvaise vie, eux,
l’ont cru.
« Changez votre état d’esprit,
changez votre vie,
car le Règne des cieux
s’est rendu tout proche. »
Pour que cette parole
fasse écho
dans un cœur,
il faut que cette personne
ne se sente pas parfaitement à l’aise
avec la vie qu’elle mène.
Les péagers
aiment l’argent,
mais ils sentent bien
que cela ne peut pas
être tout.
Qu’il y a des choses
encore plus précieuses
qui, elles, ne peuvent pas
s’acheter.
Les femmes de mauvaise vie
se rendent bien compte
que l’amour tarifé
n’est pas de l’amour.
Et, sans forcément le savoir,
elles rêvent d’une vie
où leur cœur pourrait
se donner librement.
Les chefs des prêtres
et les anciens, eux,
sont dans une tout autre situation.
Ils sont très contents de leur position.
Ce sont des notables respectés.
Les garants de l’ordre établi,
et aussi de la morale.
Ils sont importants,
et en profitent largement.
Pourquoi voudraient-ils
changer de vie ?
Une question se pose donc maintenant :
Et nous ?
De quel côté sommes-nous ?
Du côté des péagers et des femmes de mauvaise de vie,
insatisfaits de l’existence qu’ils mènent ?
Ou bien du côté des chefs des prêtres et des anciens du peuple
qui ne voient pas ce qu’il y aurait à changer chez eux ?
Notre Église vaudoise se veut multitudiniste.
Mais, en réalité, cela fait longtemps
qu’elle n’est plus une Église de masse.
Elle rassemble les restes
d’une ancienne élite :
enseignants, fonctionnaires, cadres,
classes moyennes et supérieures.
Avec souvent de bonnes situations.
Avec aussi de beaux engagements
dans le monde associatif,
caritatif
et culturel.
Des gens scrupuleux.
Et après examen assez contents
de tout ce qu’ils ont accomplis.
Bien plus proches
des chefs des prêtres
et des anciens du peuple,
que des péagers
et des femmes de mauvaise vie.
Attention toutefois à ne pas aller trop vite en besogne.
Il ne s’agit pas d’une sentence.
Plutôt d’une mise en garde.
Le croyant qui ne cache pas sa foi
est bien plus exposé
au risque de se conduire
comme le premier fils
que celui qui se proclame athée.
Dire oui.
Dire que c’est important.
Juste pour faire bonne figure,
Alors qu’en fait
c’est ailleurs que sont nos priorités.
Que l’on comprenne bien :
il ne s’agit pas de devenir tous
des péagers et des femmes de mauvaise vie.
Juste ne pas confondre un statut,
une bonne réputation,
avec une foi vivante.
Juste comprendre
que, si l’appel du Christ nous semble assimilé,
et qu’il ne nous bouleverse plus,
qu’il ne nous trouble plus,
qu’il ne fasse plus rien vibrer en nous,
c’est que notre cœur est mort,
et c’est un sacré problème.
L’apôtre Paul nous aide
à faire un pas supplémentaire.
Il nous dit comment faire
pour être,
non pas du côté des chefs des prêtres
et des anciens du peuple,
mais du côté des péagers et des femmes de mauvaise vie.
Et cela, sans devenir directement des péagers
et des femmes de mauvaise vie.
« Considérez les autres […]
comme supérieurs à vous-mêmes. »
Pas facile, bien sûr !
Nous avons été biberonnés
aux classements.
Avec les prix de fin d’année.
Et plus tard les classes de rémunérations.
Les rangs d’ancienneté.
Sans oublier, bien sûr,
les titres académiques,
et autres diplômes en tous genres.
On nous a invités
à valoriser notre parcours,
dire nos prétentions de salaire.
Bref, nous mettre en avant.
Alors, la recette de l’apôtre
court le risque d’être court-circuitée.
Considérer les autres comme supérieur à soi-même,
vu comme une compétence à acquérir !
Une compétence qui, bien sûr,
va nous rendre supérieurs aux autres.
Les grands spirituels ont un truc imparable
pour déjouer cette mystification
dont on n’est pas forcément conscient.
Quand quelqu’un dit
que les autres lui sont supérieurs,
il suffit d’abonder dans son sens :
« Ah, ça, c’est bien vrai ! »
Et l’on voit tout de suite
si cette personne pensait sérieusement
ce qu’elle disait,
ou si c’était juste une pose.
Notre cœur est bien tortueux.
Et souvent on se laisse prendre au piège.
On se croit désintéressé.
Alors qu’on cherche à se mettre en avant.
Ou alors on se force à la confiance,
ce qui est une façon
de garder le contrôle de la situation.
Dans l’Évangile, Jésus, lui,
ne nous invite pas
à considérer les autres
comme supérieurs à nous.
Il nous appelle simplement
à redevenir comme des enfants.
Se savoir petit,
et ne pas en faire une maladie.
Car ce n’est pas un objectif
qu’il faudrait s’imposer.
C’est un simple état de fait.
Un point de départ.
L’important,
ce n’est pas d’être petit ou grand,
mais d’être ouvert à ce qui est grand.
En chaque personne,
il y a quelque chose à admirer.
En chaque parole de l’Évangile,
il y a un chemin sur lequel s’engager.
Le plus triste avec les chefs des prêtres
et les anciens du peuple,
c’est qu’ils se croyaient arrivés.
Alors qu’ils ne s’étaient même pas
mis en route.
Puissions-nous
nous garder de cette impasse.
Et conserver toujours,
quel que soit le nombre de nos années,
le cœur simple et disponible.
Comme un enfant.
Amen