Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert.
Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan
Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée.
Il proclamait l’Évangile de Dieu et disait :
« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché :
convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Évangile selon Marc, chapitre 1, versets 12 à 15
« Metanoeite kai pisteuete en tô euangeliô!»
Frères et soeurs,
vous le savez,
le Nouveau Testament n’a pas été rédigé en français,
mais en grec.
Ce que nous entendons lors des cultes,
ce sont des traductions.
Qui rendent bien service.
Mais qui ont leurs faiblesses,
leurs points aveugles.
Une traduction est toujours l’enfant de son époque,
et aussi de certains milieux.
Elle instille ses obsessions.
Elle omet ce qu’elle ne comprend pas.
Et justement,
si j’ai commencé par une citation en grec,
c’est que le verbe central dans l’appel de Jésus
pose un vrai problème.
« Metanoeite. »
Beaucoup de traductions mettent
« Repentez-vous ! »,
comme s’il s’agissait avant tout
de regretter des erreurs passées.
D’autres préfèrent
« Convertissez-vous ! »,
comme s’il s’agissait
d’adhérer à un programme tout prêt.
Les traductions plus récentes
ont souvent :
« Changez… »,
« Changez d’attitude »,
« Changez de comportement »,
« Changez de vie »,
ou même « Changez » tout court.
Avec derrière cette idée que,
si l’on agit d’une certaine façon
c’est parce que l’on a fait un choix en toute conscience.
Et que donc,
on peut facilement rectifier ce choix en faisant
un choix différent.
Seulement, dans la vraie vie,
cela ne se passe pas comme ça.
Dans la vraie vie,
la plupart du temps, on ne voit pas qu’il y a un choix,
que cela peut être différent.
Ce qui est,
ce que l’on vit,
c’est la seule réalité possible.
Quelqu’un a dit que,
lorsque l’on a un marteau à la main,
on verra les problèmes autour de soi comme des clous.
En d’autres mots,
on réparera tout en tapant dessus.
Tout simplement parce que l’on sera incapable
d’imaginer une autre manière de faire.
On ne s’en rend pas forcément compte,
mais nos habitudes,
nos manières d’habiter le monde
deviennent comme une partie de nous-mêmes.
Notre chair.
Une psychologue s’occupait
d’un enfant qui souffrait de bégaiement.
À l’occasion d’une rencontre avec ses parents,
elle leur a demandé :
« Qu’est-ce que vous ressentiriez
si vous perdiez l’objet auquel vous êtes le plus attaché ? »
Ils répondirent en évoquant le désarroi
que cela représenterait pour eux.
Et la psychologue d’ajouter :
« Votre enfant ressent la même chose
à l’idée de perdre son bégaiement. »
Le verbe utilisé par Jésus
invite à un changement de regard.
Voir les choses autrement.
Ou plutôt, voir autre chose
alors que l’on a toujours
les mêmes choses sous les yeux.
Changer de comportement,
cela ne va pas sans ce changement de regard.
C’est très difficile.
Et en même temps,
c’est tout l’enjeu dans lequel nous nous trouvons.
L’Église continue de se voir
comme une institution incontournable
pour la vie de ce canton.
Et nous ne comprenons pas
que des gens puissent ne pas inscrire
leur enfant au catéchisme.
« Mais comment leur faire comprendre
que c’est bien, que c’est important,
que c’est nécessaire ? »
Nos hommes politiques, eux,
pour affronter la crise écologique,
répètent les recettes des Trente glorieuses.
La croissance économique.
Toujours plus de produits toujours plus verts,
et un tri toujours plus efficace
de déchets toujours plus abondants.
« Changer de regard ! »
L’Église n’est pas une administration dépendant de l’État.
Et le catéchisme n’est pas
une version pour adolescents du service militaire.
L’économie et la consommation
ne sont pas le seul horizon de la vie.
Les jeunes qui participent au semestre de motivation
sont invités à changer le regard qu’ils portent sur eux-mêmes
et sur leur place dans le monde, dans la société.
C’est un gros défi.
Penser que ce défi est derrière nous est une grande erreur.
Une bonne intégration professionnelle est une étape.
Ce n’est pas le bout du chemin.
L’appel de Jésus ne s’adresse pas
à des gens perdus ou en recherche,
mais à tous,
et peut-être spécialement
à ceux qui sont contents d’eux-mêmes et de leur vie.
« Changez de regard ! »
Qu’est-ce qui est vraiment central dans ma vie ?
Qu’est-ce qui me définit ?
Mon bégaiement ?
Mes diplômes ?
Mon carnet d’adresses ?
Et comment comprendre cette vie ?
Suis-je en train de passer un test
avec une feuille blanche devant moi
sur la table ?
Ou bien suis-je l’objet de multiples attentions :
ma vie comme une suite de rencontres
qui sont des cadeaux ?
Changer de regard,
c’est commencer par remettre en question
ses certitudes, ses fiertés :
« Est-ce vraiment si important ?
Est-ce vraiment si sûr ?
Ne suis-je pas en train
de me raconter des histoires ? »
Seulement, attention :
il ne s’agit pas juste de switcher :
de remplacer de vieilles certitudes par de nouvelles.
Il s’agit de s’engager sur un chemin
où le regard d’aujourd’hui
ne sera pas le regard de demain,
qui ne sera pas le regard d’après-demain.
Sortir des rails
qui nous conduisent
sans que l’on ait à réfléchir.
Sortir de la planification
où l’on sait déjà tout à l’avance.
Sortir du parcours balisé
où rien ne peut nous surprendre.
Sortir du mode d’emploi
où il suffit de faire les gestes indiqués
pour que cela soit bon.
Une autre relation aux autres.
Une autre relation au monde.
Une autre relation à soi-même.
Cela semble une tâche gigantesque.
Mais on le dit bien :
c’est le premier pas qui coûte.
Juste un peu de recul
sur certaines certitudes.
Ce chapitre de ma vie
que je crois stérile
ne l’est peut-être pas.
Tandis que cet enthousiasme qui me galvanisait
était peut-être un aveuglement.
Ma vie n’est pas ce Curriculum vitae
que j’ai pris l’habitude de répéter.
Je pourrais écrire
des dizaines d’autobiographies toutes différentes
et qui auraient toutes leur part de vérité.
Je peux vivre demain comme un jour de plus.
Je peux aussi le vivre comme une nouvelle naissance.
« Changez de regard »,
dit Jésus.
C’est cela qu’il dit en premier.
Et c’est donc par cela qu’il faut commencer.
Ce n’est qu’alors que l’on pourra aller plus loin.
Faire le second pas.
Oui,
« changez de regard,
et croyez à l’Évangile,
croyez à la Bonne Nouvelle ! »
Il est important de ne pas se tromper,
et de ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
Amen