Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés,
nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
Personne n'a jamais vu Dieu.
Si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.
A ceci nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous :
c'est qu'il nous a donné de son Esprit.
Et nous, nous avons vu et nous témoignons
que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
Et nous, nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru.
Dieu est amour ; celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu,
et Dieu demeure en lui.
1 Jean 4, 11-16
« Personne n’a jamais vu Dieu. »
Frères et sœurs,
c’est une évidence
que l’apôtre dit ici :
« Personne n’a jamais vu Dieu. »
Certaines personnes nous en font le reproche :
« Comment pouvez-vous croire
en quelqu’un ou en quelque chose
que personne n’a jamais vu ?
C’est juste une illusion.
Vous vous faites des idées.
Vous vous racontez des histoires.
Il faut grandir.
Il y a un âge auquel ce n’est plus normal
de croire au Père Noël ! »
On peut bien sûr répliquer
que personne n’a jamais vu
les ondes électro-magnétiques,
et que cela ne les empêche pas d’exister.
Mais on sent bien que la réponse
ne joue pas complètement.
Parce que, si personne n’a jamais vu Dieu,
nous avons tous une image de qui Il est
ou de qui Il devrait être.
Cela peut être l’image naïve
du vieux monsieur en chemise de nuit assis sur un nuage.
Ou alors l’image plus inquiétante
de deux yeux qui nous suivent en permanence
et qui voient tout ce que nous faisons,
et même tout ce que nous pensons.
L’image du policier qui fronce les sourcils
pour que nous ne fassions pas de bêtise.
Ou l’image du nounours en peluche
que l’on sert contre son cœur
quand on est triste ou quand on a peur.
L’affirmation de l’apôtre n’est pas aussi évidente
qu’il le semble.
« Personne n’a jamais vu Dieu »,
cela ne veut pas juste dire
que personne n’a jamais vu
le vieux monsieur en chemise de nuit
qui se promène sur les nuages.
Cela veut surtout dire
que nous ne savons pas
de quoi Dieu a l’air.
Que toutes les images
que nous nous faisons de Dieu
sont insuffisantes,
inadéquates,
fausses.
Bien sûr, nous avons tous vu
des dizaines de représentations de Dieu :
des dessins, des tableaux, ou même des films.
Un visage lumineux,
ou bien un tourbillon de couleurs.
Mais justement, ce ne sont que des images.
La réalité, c’est que « personne n’a jamais vu Dieu »
tel qu’Il est vraiment.
Peut-être tout simplement
parce que les yeux ne sont pas l’organe adéquat
pour le percevoir.
Ni non plus notre intelligence.
Peut-être tout simplement
parce que Dieu ne peut en aucun cas
être un objet d’étude ou de contemplation.
Rien à voir avec un mécanisme
que l’on pourrait démonter pour le comprendre.
Rien à voir avec un feu d’artifice
devant lequel on pourrait s’extasier.
Dieu n’est pas un objet qui nous serait extérieur.
Il ne nous est pas étranger.
Entre Lui et nous, il y a une proximité.
Une communion.
Un entrelacement.
Une symbiose tellement étroite
qu’il ne peut pas y avoir d’un côté un observateur
et de l’autre un observé.
Un auteur catholique
dit qu’il ne faut pas entendre le mot « Dieu »
comme un substantif, un objet,
mais comme un verbe,
un mouvement, un acte,
un geste.
Eh oui,
« personne n’a jamais vu Dieu. »
Ni avec un microscope.
Ni avec un télescope.
C’est d’une autre façon
que se joue le lien entre nous.
On dit parfois que Dieu nous est plus proche
que notre souffle,
que les battements de notre cœur.
L’apôtre, lui, dit :
« Personne n’a jamais vu Dieu ;
si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous,
et son amour en nous est parfait. »
Non pas une sonde qui se baladerait dans notre corps.
Non pas un pacemaker tout près de notre cœur.
Non pas un implant dans notre cerveau.
Mais quelque chose de fluide
qui circule,
qui relie,
qui féconde,
qui vivifie,
qui fait qu’il n’y a pas des étrangers
les uns à côté des autres,
mais une proximité,
des frères, des sœurs,
qui se reconnaissent les uns dans les autres.
Un seul corps.
« Personne n’a jamais vu Dieu ;
si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous,
et son amour en nous est parfait. »
Cela semble limpide.
Mais ça ne l’est pas.
Il est très facile de comprendre cette phrase de travers.
Le signe de la présence de Dieu,
ce serait des gens qui passent leur temps
à se sourire les uns aux autres.
Une petite bulle où tout le monde est sympathique.
Où tout le monde se regarde avec attendrissement.
C’est que, pour nous, l’amour,
c’est d’abord un sentiment.
On pourrait même dire que c’est LE sentiment par excellence.
Le plus beau. Le plus exaltant. Le plus fort.
Un idéal. Un rêve.
Le paradis dans le cœur.
Le monde de la Bible
est beaucoup moins sentimental que le nôtre.
Rien à voir avec Hollywood.
Du concret.
Du quotidien.
Du pragmatique.
Dans la Bible,
l’amour, ce n’est pas une émotion.
C’est un acte.
S’engager pour quelqu’un.
Faire du bien à quelqu’un.
L’amour,
c’est cette aide-soignante
qui met toute sa délicatesse
à changer les pansements de cette dame
qui lui dira tout le long
à quelle point elle est maladroite et incapable.
C’est cette personne qui demandera à sa voisine
comment ça va,
en sachant qu’elle en aura
pour une demi-heure de jérémiades
sur des broutilles sans importance.
L’amour, c’est prendre sur soi,
en sachant que l’on ne sera pas forcément récompensé
pour ses efforts.
S’aimer les uns les autres,
ce n’est pas avoir du plaisir à être les uns avec les autres.
C’est tout simplement déjà se supporter les uns les autres.
Accepter les défauts, les défaillances des uns et des autres,
et faire avec.
Non pas un monde idéal peuplé de gens parfaits.
Mais tous ces gens parfois agaçants et fatigants,
qui ne sont pas des étrangers,
qui sont des frères et des sœurs,
ma chair.
L’amour dont l’apôtre parle
n’a rien de bien attrayant.
Rien de spectaculaire.
Mais ce n’est pas son rôle.
Il ne s’agit pas de montrer aux autres
que nous sommes meilleurs qu’eux.
Juste faire sentir qui est notre Dieu :
une générosité qui ne cherche pas
à prouver quelque chose,
ou à susciter l’admiration.
Juste une attention, un engagement,
parce que l’autre n’est pas un étranger.
Il est une partie de moi-même.
Et s’il souffre, je souffre aussi.
Et s’il va bien, je vais bien aussi.
L’apôtre le dit bien : « Personne n’a jamais vu Dieu. »
Et pourtant Il n’est pas loin.
On peut Le rencontrer
dans la bienveillance d’un regard.
On peut aussi Le rencontrer dans son propre cœur
quand on oublie ses obsessions
pour partager, ne serait-ce qu’un instant,
les difficultés et les peines de ces prochains
que Dieu nous a donnés.
Ces prochains qui sont notre propre chair.
Amen