Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul.
S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.
Mais, s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux (personnes),
afin que toute l'affaire se règle sur la parole de deux ou trois témoins.
S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Église ;
et s'il refuse aussi d'écouter l'Église, qu'il soit pour toi comme un païen et un péager.
En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.
[En vérité] je vous dis encore que si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit,
cela leur sera donné par mon Père qui est dans les cieux.
Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux.
Évangile selon Matthieu, chapitre 18, versets 15 à 20
« S’il refuse d’écouter l’Église,
qu’il soit pour toi
comme le païen et le péager ! »
Frères et sœurs,
cette parole de Jésus désarçonne.
Juste avant,
il invite à la patience.
En cas de problème,
commencer par une entrevue entre quatre yeux.
Et si cela ne suffit pas,
ne pas se hâter.
Continuer dans le même esprit.
Prendre avec soi une ou deux autres personnes.
Et si cela ne marche pas,
si la situation reste bloquée,
demander l’intervention de l’Église.
Non pas des fonctionnaires venus de la capitale.
Simplement des frères ou des sœurs respectés de tous.
Oui, de la mesure.
Beaucoup de patience.
Mais semble-t-il,
il y a des limites à ne pas dépasser :
« S’il refuse d’écouter l’Église,
qu’il soit pour toi
comme le païen et le péager ! »
Une rupture définitive, semble-t-il.
« Tu n’es plus mon frère.
Tu es un étranger.
Nous n’avons plus rien à voir
l’un avec l’autre. »
Mais attention !
Les apparences sont souvent trompeuses.
Rappelez-vous
ce qu’il y a dans les évangiles.
Le péager, le collecteur d’impôts,
c’est cet homme qui,
à la différence du pharisien,
est descendu justifié
du Temple où il a prié.
C’est aussi Lévi que Jésus appelle à sa suite.
C’est Zachée que le Christ interpelle
et dont il rappelle à tous
que lui aussi est un fils d’Abraham,
et que c’est pourquoi le salut est entré
dans sa maison.
Le païen, quant à lui,
c’est celui
dont il est dit à Pierre
qu’il ne faut pas le regarder comme impur,
car Dieu l’a purifié.
C’est celui à qui Dieu envoie l’apôtre Paul
pour qu’il puisse recevoir cet amour
qui changera sa vie.
Oui, dans l’Évangile,
le péager et le païen,
ce ne sont pas des objets de mépris.
Ce sont au contraire
ceux à qui il faut annoncer la Bonne Nouvelle
parce qu’ils la recevront.
L’histoire de l’Église
est faite de ruptures,
d’invectives,
d’anathèmes.
Ceux qui ne pensent pas comme nous
sont des traîtres,
des apostats,
des suppôts de Satan.
Catholiques contre protestants.
Réformés contre évangéliques,
et vice-versa.
Sans oublier les orthodoxes
où les aversions sont souvent
d’autant plus grandes
que nous peinons à voir
quelque différence.
Beaucoup d’accusations.
Des pamphlets.
Des traités même.
Avec parfois des persécutions.
L’hostilité semble l’oxygène des croyants.
Et c’est souvent comme cela
que nous sommes perçus.
Croire en Dieu,
cela semble la source de l’intolérance.
Et ce n’est pas une idée.
C’est une expérience.
L’absolu,
c’est fantastique pour taper
sur la figure de ceux que l’on n’aime pas
en se donnant bonne conscience.
Et nombreux sont ceux
qui en ont fait usage au cours des siècles.
Nombreux sont ceux qui en font usage
encore maintenant.
La démarche de Jésus est tout autre
et il est important de bien le comprendre.
Un malentendu est facile.
On pourrait avoir l’impression
que toute cette patience initiale est là
juste pour couvrir ses arrières,
et rendre inattaquable cette colère
qui ne demande qu’à exploser.
« Trois tentatives,
et ensuite vous pourrez vous lâcher.
Et personne ne pourra rien vous dire. »
Seulement quand Jésus dit :
« Qu’il soit pour toi
comme le païen et le péager ! »,
l’oreille attentive comprend
qu’il dit tout autre chose :
« Qu’il soit pour toi
comme Corneille et Zachée. »
« Qu’il soit pour toi
l’objet d’une attention particulière,
d’une bienveillance particulière. »
« Qu’il soit pour toi
ce bien-aimé de Dieu,
assoiffé de Son amour,
et qui ne le sait pas. »
L’évangélisation s’est parfois faite
à coups de marteau.
Comme si l’important était de faire du chiffre.
Des baptêmes en masse.
Voire même, dans l’idéal,
des peuples tout entiers
qui passent du bon côté
sur la décision de leurs autorités.
Jésus, lui, n’impose rien.
Et l’Évangile est parsemé de rencontres
de personne à personne.
Avec un échange,
une discussion,
un chemin parcouru,
un repas partagé.
Du temps.
De l’écoute.
Des tâtonnements.
Du jeu.
Et finalement une certaine proximité.
Une entente.
Un lien.
Une ouverture.
Et c’est aussi le chemin
proposé par Jésus
en cas de clash,
de conflit irrévocable.
On est loin du tribunal,
de la procédure disciplinaire.
Et cela porte toute une lumière
sur les pas qui précèdent.
Non pas un avertissement,
une mise en demeure,
une semonce.
Mais une main tendue.
« Cela ne peut pas être si grave. »
Les notaires le savent bien :
être frères et sœurs,
ce n’est pas une garantie de bonne entente.
Les questions d’héritage peuvent être
très houleuses.
Peut-être tout simplement
parce que la clé de voûte n’est plus là.
Et ce n’est plus qu’un lien formel qui réunit,
et non une personne vivante,
un père ou une mère.
Bien des conflits en Église
proviennent de ce que l’on se considère
comme le seul héritier légitime.
Et que l’on oublie que l’on est
en réalité un fils ou une fille,
puisque notre Père est vivant.
Et donc tout ce que nous avons,
ne relève pas de l’ordre d’un droit à faire valoir,
mais d’un geste d’amour
dont on peut se réjouir.
Nous oublions souvent
que l’Église n’est pas seulement catholique, universelle,
mais qu’elle est aussi apostolique,
c’est-à-dire que nous sommes des apôtres,
des envoyés.
Que nous sommes envoyés
par Quelqu’un qui nous dépasse
et qui nous aime.
« Tout ce que vous aurez lié sur la terre
sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous aurez délié sur la terre
sera délié dans le ciel. »
Jésus parle-t-il d’un pouvoir
qui nous serait donné ?
Ou bien d’une responsabilité
qui nous serait confiée ?
Mais peut-être ne faut-il pas
chercher aussi loin.
Peut-être n’y a-t-il là qu’un simple rappel.
Ce n’est pas
parce que Dieu peut tout redresser
et réparer
que l’on peut se permettre
de faire n’importe quoi.
Le monde est dans les mains de Très-Haut,
mais ce n’est pas une raison
pour le saccager comme bon nous semble.
Et si nous croyons
que l’Éternel effacera toutes les larmes,
ce n’est pas une raison
pour en faire couler.
Un regard bienveillant
semble se perdre
dans le tourbillon de nos vies.
Jésus, lui, nous dit
que le lien ainsi créé
a une portée que nous ne soupçonnons pas.
« Tout ce que vous aurez lié sur la terre
sera lié dans le ciel. »
Ce monde n’est pas
une simple salle d’attente,
avant que le Règne de Dieu
descende sur terre.
C’est aujourd’hui,
c’est maintenant,
que se joue l’Évangile.
Dans mes paroles.
Dans mes regards.
Dans mes gestes.
Tous sont mes frères et mes sœurs.
Car nous avons un même Père
qui nous rassemble dans Sa maison.
Et c’est cela qui restera à jamais.
C’est cela qu’il est bon de vivre dès maintenant :
Quelqu’un est là qui nous rassemble,
qui nous rapproche.
Le Christ le dit bien :
« Là où deux ou trois sont réunis en mon nom,
je suis au milieu d’eux. »
Oui, Jésus est ici au milieu de nous.
Amen