"Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
Parlez au coeur de Jérusalem
et annoncez-lui que son temps d'épreuve a pris fin;
que son iniquité est pardonnée;
qu'elle a reçu, de la main de l'Éternel,
un double châtiment pour tous ses péchés."
Une voix crie:
"Frayez dans le désert un chemin pour l'Éternel!
Nivelez dans la plaine aride une route pour notre Dieu!
Toute vallée sera comblée;
toute montagne et toute colline seront abaissées;
les hauteurs se changeront en plaines
et les crêtes escarpées en vallons.
Alors la gloire de l'Éternel sera manifestée,
et toutes les créatures, ensemble, en verront l'éclat;
car la bouche de l'Éternel l'a déclaré."
Ésaïe 40, 1-5
« Frayez dans le désert un chemin pour l’Éternel ! »
Frères et sœurs,
cet appel résonne dans le temps de l’Avent.
Et il est important de le prendre au sérieux.
Vraiment au sérieux.
Ne pas juste se laisser enthousiasmer
par l’image et sa poésie.
Mais retrouver la réalité brute, concrète,
dont il est question derrière cette image.
Et se mettre au travail,
s’atteler à la tâche.
Ici, maintenant.
Il y a un désert,
et il faut y frayer un chemin pour l’Éternel.
Dit comme ça,
cela semble simple.
Le désert, c’est désert.
Il n’y a rien.
C’est vide.
Il n’y a donc qu’à poser un ruban d’asphalte
et ainsi le trajet sera plus confortable.
Un peu comme ce tapis rouge
que l’on déploie
pour les hôtes de marque
qui viennent nous visiter.
Seulement,
pour les auditeurs d’Ésaïe et de Jean-Baptiste,
le désert,
ce n’est pas une grande page blanche.
Un espace vide,
où il n’y aurait rien.
Non,
c’est tout le contraire.
Pour eux, le désert,
ce n’est pas désert.
C’est plein d’esprits en tous genres
prêts à assaillir ceux qui s’aventurent.
Rien à voir avec ce lieu de silence
que les agences de voyage vous vendent,
et où l’on va se ressourcer,
se reposer de la vie trépidante de la ville.
Non, le désert, c’est un territoire en guerre :
un lieu de lutte
où le danger vient de tout côté,
et où seules les âmes fortes
peuvent tenir et survivre.
Rappelez-vous la confrontation du Christ
avec le diable dans ce lieu :
non pas une discussion paisible,
mais le moment
où tout aurait pu basculer,
où le sol aurait pu vaciller sous les pieds de Jésus,
où il aurait pu perdre la tête.
Alors oublions le tapis rouge que l’on déroule.
Frayer un chemin dans le désert,
c’est ouvrir à la machette
un passage
dans une jungle inextricable.
Un effort épuisant
qui demande une mobilisation absolue
pendant des heures et des heures,
des jours et des jours.
On est loin de cette petite touche de Noël
qu’il est de bon ton
de mettre dans son appartement.
Oui,
« frayez dans le désert un chemin pour l’Éternel ! »
Mais de quel désert parle-t-on ?
Nous voyons les dunes de sable
écrasées par le soleil.
Ou alors ces vastes espaces sans inscription
sur les cartes de géographie
et dans les atlas.
Seulement,
c’est d’un tout autre désert
que parlent Ésaïe et Jean-Baptiste.
Un désert invisible pour les satellites.
Et pourtant bien réel.
Le désert, ou plutôt la jungle, de ce monde.
Le désert, ou plutôt la jungle, de notre cœur.
Avec toutes ces voix
qui s’y bousculent.
Toute cette frénésie
qui barre le chemin.
Qui empêche l’Éternel
d’arriver jusqu’à nous,
de nous toucher,
de nous étreindre.
« Frayez dans le désert un chemin pour l’Éternel ! »
Cet appel résonne pendant le temps de l’Avent.
Non pas parce que, dans cette période de l’année,
nous serions plus réceptifs à la spiritualité,
à l’Évangile.
Mais au contraire parce que la jungle de notre cœur
se fait incroyablement touffue en ce temps.
Toutes ces sollicitations.
Cette course effrénée
entre les cadeaux à acheter,
les cartes à écrire,
les fenêtres de l’Avent où il faut se montrer,
les concerts que l’on ne veut pas manquer,
et les différents Noëls des entreprises, des écoles, des EMS,
sans oublier le repas à préparer.
La tête tourne.
Mais puisque c’est pour Noël,
puisque c’est pour la naissance de Jésus,
on a l’impression d’être plus près de Dieu que jamais.
En oubliant que c’est aujourd’hui,
et non pas il y a deux mille ans,
que Dieu m’attend.
Non pas quelque part en Palestine
ou dans une jolie féérie ouatée,
mais bien dans ce monde,
dans mon cœur.
« Frayez dans le désert un chemin pour l’Éternel ! »
L’appel est troublant.
Dieu veut venir à nous.
Mais l’accès semble compliqué.
Difficile d’approcher,
même pour Lui.
En général,
nous imaginons plutôt l’inverse.
Dieu qui demeure
dans un lieu inaccessible,
loin de cette terre.
Et c’est nous qui essayons
de nous rapprocher de Lui,
de L’atteindre
au moins par nos prières.
Ésaïe et Jean-Baptiste nous le disent :
ce n’est pas Dieu
qui nous met des bâtons dans les roues.
C’est nous qui l’empêchons de venir.
C’est nous qui nous mettons hors d’atteinte.
Sans en être conscients, bien sûr.
En nous laissant submerger
par des montagnes de bricoles.
En nous laissant accaparer
par des milliers de voix
qui n’ont pas grand-chose à dire,
mais élèvent d’autant plus le volume.
Alors, « frayez dans le désert un chemin pour l’Éternel ! »
Mais comment est-ce qu’on fait ?
La première chose,
c’est de se retrouver soi-même.
L’Éternel peut frapper de toutes ses forces
à la porte de notre cœur,
s’il n’y a personne à l’intérieur,
cela restera sans effet.
Quand on se met à dire :
« Je n’ai pas une minute à moi »,
« Je ne fais que courir »,
ou encore : « Je suis débordé »,
cela devrait être comme un signal d’alerte :
où suis-je dans tout cela ?
Suis-je vraiment présent
dans ce que je fais ?
Ou bien est-ce que je me contente
de me laisser mener par l’agenda,
sans ne plus avoir d’initiative personnelle,
sans ne plus avoir de densité personnelle ?
Oui, pour qu’un chemin
soit frayé pour l’Éternel,
il faut déjà qu’il y ait quelqu’un
qui puisse s’atteler à cette tâche.
Et bien sûr, ensuite,
il faut savoir que faire.
Je l’ai dit :
l’image du désert est trompeuse.
Construire une route dans le désert,
c’est rajouter du bitume.
Ouvrir un passage dans la jungle,
c’est au contraire élaguer,
enlever.
Dans la tradition de l’Église,
l’Avent est un temps de jeûne :
mettre de côté le superflu,
et réduire tous les stimuli,
gustatifs et autres.
Pas d’épices.
Pas de divertissement.
Pas de danse.
On est ainsi vraiment présent à soi-même.
Le cœur disponible.
Attentif au pas de Dieu qui approche.
Pour retrouver quelque chose de cela,
on peut prendre
dix minutes matin et soir,
pour se placer dans un vrai silence
extérieur et intérieur.
Dix minutes d’immobilité
de notre corps
et aussi de nos pensées.
Se rendre ainsi présent
à ce Dieu vivant,
qui se montre toujours ailleurs d’où nous l’attendons.
Toujours différent de nos représentations.
L’Avent ne va pas sans effort.
Non pas pour construire quelque chose.
Mais pour créer et maintenir en soi
une ouverture,
une disponibilité
qui nous permettra
d’être rejoint par Dieu selon Son idée,
et non selon la nôtre.
Ce n’est pas la naissance d’il y a vingt siècles
que nous avons à préparer
dans ces semaines avant Noël.
Mais bien une autre épiphanie.
Aujourd’hui,
dans ce monde.
À travers moi.
Et tout d’abord en moi.
Amen