« On a fait de l’amour une chose « idéale », alors que la chose est physique : un but à atteindre, alors qu’on en part » (C.-F. Ramuz).
Nous pensons souvent en termes de projets. On nous a appris à planifier, à fixer des objectifs. Avoir une vision claire de ce que l’on souhaite atteindre. Définir des étapes pour le réaliser.
Le futur semble ainsi entre nos mains. Parfaitement limpide. Cohérent. Tout est à sa place. C’est-à-dire à la place qu’on lui a assignée. Et cela fait une grosse différence d’avec le présent souvent si opaque. Si contrariant.
Cela fait du bien de rêver. On se sent pousser des ailes. La pesanteur semble si loin. Oui, demain, ce sera parfait. Demain, tous nos buts seront atteints : le bonheur, la paix, la justice. L’humanité comme une grande famille où tout le monde s’aime.
Seulement, ce n’est pas demain que je vis, mais aujourd’hui. C’est aujourd’hui que mon cœur bat. C’est aujourd’hui que le monde me résiste. C’est aujourd’hui que je suis, non pas juste une idée, mais un être de chair et de sang, bien réel.
Toucher terre, cela peut être brutal. Mais c’est salutaire. On comprend ainsi, on sent même dans son corps, que l’on n’est pas qu’un cerveau. Non, l’autre n’est pas un pion que je pourrais déplacer à ma guise. Il a sa densité. Il me parle. Il m’interpelle.
Ramuz le dit bien : l’amour, ce n’est pas un idéal à fantasmer. C’est un point de départ ici, maintenant. Qu’est-ce que je fais de cette personne que je n’ai pas choisie et qui se met sur ma route, qui entrave mes projets ?
Aimer au quotidien, c’est accepter d’être contrarié. Et pas juste une fois. Mais toujours, encore et encore. Admettre ainsi que le futur ne correspondra pas à ce que j’imagine, mais qu’il est ouvert. Qu’il ne saurait se résumer à mes envies, à ma vision.
Le centre de gravité de ma vie, ce n’est pas demain. C’est ici, c’est maintenant. Chaque jour un nouveau commencement. Pour cheminer jusqu’à demain, en passant par bien des surprises.