"Dans nos déserts, résister en nous ancrant dans la Parole et son espérance…"
Lecture biblique de l'Evangile selon Luc 4, 1-3
1Jésus, rempli de l'Esprit saint, revint du Jourdain et fut conduit par l'Esprit dans le désert. 2Il y fut mis à l'épreuve par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là et, quand ils furent passés, il eut faim. 3Le diable lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de se changer en pain. » 4Jésus lui répondit : « L'Écriture déclare : “L'être humain ne vivra pas de pain seulement.” »
5Le diable l'emmena plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre 6et lui dit : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes : tout cela m'a été remis et je peux le donner à qui je veux. 7Si donc tu te prosternes devant moi, tout sera à toi. » 8Jésus lui répondit : « L'Écriture déclare : “Adore le Seigneur ton Dieu et ne rends de culte qu'à lui seul.” »
9Le diable le conduisit ensuite à Jérusalem, le plaça au sommet du temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas ; 10car l'Écriture déclare : “Dieu ordonnera à ses anges de te garder.” 11Et encore : “Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte pas de pierre.” » 12Jésus lui répondit : « L'Écriture déclare : “Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.” »
13Après avoir achevé de tenter Jésus de toutes les manières, le diable s'éloigna de lui jusqu'à une autre occasion.
Prédication: « Dans nos déserts, résister en nous ancrant dans la Parole et son espérance… »
Résumé : Avec l’actualité, nous revoilà plongé dans nos déserts. Dans ceux-ci, à l’instar du Christ, nous sommes invités à résister à la tentation du « tout tout de suite » en nous ancrant dans la Parole de Dieu et dans son espérance qui nous promet une vie nouvelle.
Version audio ici: https://anchor.fm/emlklsne/episodes/Prdication-du-6-mars-2022--EMLK--Dans-nos-dserts--rsister-en-nous-ancrant-dans-la-Parole-et-son-esprance-e1fe931
Chers frères et soeurs,
Si je vous dis « désert », vous pensez à quoi ? Au quartier de Lausanne terminus d’une ligne d’un bus TL ? A votre dernière balade à dos de chameau ? A Tintin et au capitaine Haddock au pays de l’or noir ? A un lieu de privation (bon, je sais que certains ici détestent être privé de désert…) ? Ou bien vous pensez à un lieu d’errance, comme le peuple d’Israël, conduit par Moïse hors d’Egypte ? Mais le désert, c’est aussi le lieu mystique de la rencontre avec Dieu, comme l’a si bien décrit Eric-Emmanuel Schmitt dans « La Nuit de Feu ». C’est le lieu du don de la Loi à Moïse, lui qui techniquement a été le premier homme à télécharger des fichiers depuis le cloud à l’aide d’une tablette. Mouarf.
Plus sérieusement.
Nous sortons ENFIN du désert du Coronavirus, de cette période marquée par le COVID, un co-vide, un vide relationnel partagé, un désert de solitude et de distance sociale ; et alors que nous pouvions envisager une forme de « retour à la normale », voilà qu’un autre désert pointe le bout de son nez : celui de la guerre en Ukraine. Désert de violence et d’inhumanité. Ou comme le dit si bien le Chat de Geluck : « les chenilles des chars ne deviennent jamais des papillons ».
Le désert, c’est aussi un lieu de vulnérabilité, d’épreuve, à laquelle Jésus dans le passage du jour doit faire face. L’épreuve, ce sont pour Jésus les tentations que le Diable, le diviseur, le Malin, vient lui tendre. La tentation, ce n’est pas du chocolat ou des bonbons, non la tentation c’est comme donner une épingle à un enfant devant un ballon de baudruche. Un enfant, ou un adulte.
Les tentations que le Diable soumet à Jésus, en fait, ce sont celles du « tout tout de suite ». Changer une pierre en pain tout de suite : tentation de la nourriture, du matérialisme. Avoir la puissance et la gloire sur les royaumes tout de suite : tentation de l’égo, de l’orgueil, du pouvoir sur le monde. Sauter du toit du temple tout de suite : tentation de mettre Dieu au défi. « Si… Si… Si tu es le Fils de Dieu, alors fais ci ou ça ». Tentation de l’immédiateté qui nous rejoint tous dans notre humanité. Je veux tout tout de suite, chante Henri Dès. Nous aussi, dans notre société de l’immédiateté, souffrons d’impatience. Et la tentation est grande de succomber à la tyrannie du « tout tout de suite ». Tyrannie du matérialisme, de l’égo surdimensionné et orgueilleux, du pouvoir (bien sûr toute allusion à l’actualité est purement fortuite).
Ce matin, ce texte biblique vient vraiment nous confronter : quand est-ce que cela m’arrive de succomber à la tentation du tout tout de suite, ou celle de l’orgueil, du pouvoir, de mettre Dieu au défi ? Car que nous le voulions ou non, le Diable est là. Le Diable, c’est le Diviseur. Le Malin. Qu’est-ce que le Malin ? Une voix intérieure ou extérieure à nous ? Une puissance, une personne ? voulue par Dieu ? ou non ? Une force de division, qui nous éloigne du chemin de vie ? Quoi qu’il en soit, le mal est là, dans ce monde, alors même que Jésus a bataillé avec ! Il est encore là, comme le dit le dernier verset de notre passage : 13Après avoir achevé de tenter Jésus de toutes les manières, le diable s'éloigna de lui jusqu'à une autre occasion. La menace du Malin perdure. « Jusqu’à une autre occasion ». Quelle place lui donnons-nous dans notre monde, au Malin, à ce qui divise ? comment décidons-nous de lui résister (ou pas) ?
Pour répondre à ces questions, laissons-nous inspirer par l’exemple de Jésus : que fait-il pour résister aux tentations du Malin ?
D’abord, le premier verset nous le dit, Jésus est rempli de l’Esprit. C’est important. Non l’Esprit ne nous épargne pas les combats, mais il est une force inépuisable dans nos combats. Essayer de se laisser conduire par l’Esprit Saint, voilà une autre réponse au Malin. Mais la réalité n’est pas manichéenne : pas toujours si simple de discerner quand c’est l’Esprit ou le Malin qui parle…
Ensuite, peut-être l’avez-vous remarqué, Jésus n’a pas de parole propre, dans ce passage. Pour résister, il s’appuie sur quelque chose de plus grand que lui : la Parole de Dieu. L’Ecriture. Il s’appuie sur elle dans une confiance absolue. Bien sûr, même la Parole de Dieu peut être manipulée. Même le Diable pour l’utiliser à sa sauce. De cette « battle » de versets bibliques, une autre tentation émerge pour nous : celle d’utiliser des versets à tort et à travers pour leur faire dire n’importe quoi. Encore une mise en garde pour nous.
Repensez à des instants de vulnérabilité que vous avez vécus dans vos déserts : sur quoi vous êtes-vous appuyé pour tenir ? L’invitation de ce texte, c’est de s’ancrer dans la Parole, en profondeur. De s’en imprégner. De la mâcher, jour et nuit, comme il est dit dans le psaume 1 : Heureux celui qui trouve son plaisir dans la Loi de l’Eternel et qui la médite jour et nuit. Méditer la Parole, c’est aussi la replacer dans la perspective plus globale de l’Evangile, Bonne Nouvelle de Jésus Christ, ancrée dans l’Histoire du Salut.
Cette Histoire du Salut nous rappelle que le nombre 40 n’est pas choisi au hasard. En effet, le nombre 40 dans la Bible évoque une période décisive vécue avec Dieu, à l’instar des 40 jours du Déluge (Gn 7,17), des 40 jours de jeûne de Moïse avant de recevoir les 10 commandements (Ex 34,28) ou encore des 40 jours de pérégrination d’Elie au désert (1R 19,8). Ce nombre évoque aussi bien sûr les 40 ans du peuple d’Israël au désert, comme un temps de vide avant une renaissance. Car ce nombre 40 symbolise non seulement un temps d’épreuve, un temps d’attente nécessaire pour lutter contre le tout tout de suite, mais aussi l’éclosion d’une réalité nouvelle qui débouche sur une nouvelle naissance. Pour Noé, pour Moïse, pour Elie. Et pour Jésus. Et pour nous aussi, évidemment.
Ainsi, de ce texte d’épreuve et de tentations éclot l’espérance, ancrée dans l’Ecriture et dans la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Comme une promesse que le temps de l’épreuve sera suivi d’un autre temps de vie nouvelle. Que le Mal n’aura pas le dernier mot. Que ce Dieu de Jésus Christ, lui qui a aussi traversé ces déserts, ne nous abandonne jamais dans nos épreuves. Et qu’Il nous promet la Vie ! Elle viendra, cette espérance de Pâques, patience. En attendant, nous sommes appelés à résister et garder l’espérance vivante que le mal n’aura pas le dernier mot.
Ce n’est d’ailleurs pas autre chose qu’a déclaré, au sujet du conflit Ukrainien, Frère Aloïs de Taizé : « Prions pour que ces semences de partage et de communion ne soient pas arrachées par la folie de la guerre, mais qu’elles se révèlent à la longue plus fortes que la violence absurde. (…) Gardons enracinée au plus profond de nos cœurs, cette espérance que le mal n’aura pas le dernier mot. »
Et pour nous ? Que ce temps de carême qui va nous conduire jusqu’à Pâques puisse être un temps pour résister à ces tentations. Résister aux tentations du « tout tout de suite », de l’égo et de l’orgueil, du défi de Dieu. Résister aux tentations du désespoir, de la désespérance même, dans ce nouveau désert avec la guerre en Ukraine ; oui, que nous puissions garder vivante l’espérance, ancrée dans la Parole.
Oui à l’heure où le monde vit une nouvelle traversée du désert, avec des temps sombres de tentations et d’épreuves, notre réponse de filles et fils de Dieu ne peut être que celle de la résistance au mal au nom de la Parole de Dieu ! Notre réponse peut et doit être celle de l’espérance, ancrée dans l’Évangile, espérance que ce temps d’épreuve, certes long, finira, et alors pourra éclore une vie renouvelée.
Amen.